Critique : Le Sorcier de Terremer

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De l’enfance à l’âge adulte, la trajectoire d’un apprenti magicien, surnommé Epervier, qui va, par arrogance, libérer dans le monde insulaire de Terremer une créature du néant qu’il va finir par poursuivre à travers le globe.

Titre : Le Sorcier de Terremer

Autrice : Ursula K. Le Guin (traduction Philippe Hupp)

Editeur : Le Livre de poche (ebook)

Depuis longtemps, je nourris le projet, sur ce site, d’évoquer les classiques de la fantasy. Bien souvent, lorsque j’évoque le genre avec des individus qui s’en disent amateurs, je constate qu’ils connaissent bien les oeuvres des trente dernières années, mais qu’ils n’ont jamais lu les classiques. C’est dommage, et c’est pourquoi je suis tenté d’écrire des billets sur les oeuvres de Lord Dunsany, Fritz Leiber, Robert Howard, Poul Anderson, Tanith Lee, Michael Moorcock, Jack Vance, Roger Zelazny, etc… Dans les faits, cependant, il faut bien que j’admette que mes critiques ne sont pratiquement lues par personne, et qu’un tel projet ne justifierait pas l’énergie que j’y mettrais.

Par ailleurs, j’ai moi aussi énormément de lacunes, et je ne suis pas une référence dans ce domaine. Dans le but de parfaire ma culture générale, j’ai donc décidé, sur un coup de tête, de me plonger dans un ouvrage qui est considéré comme un classique du genre, et que je n’avais jamais abordé : Le Sorcier de Terremer, d’Ursula K. Le Guin.

C’est un chef d’oeuvre. Je ne classe pas les livres, mais si je le faisais, ce roman serait allé se loger, avant même que j’en achève la lecture, dans les hauteurs de tous mes classements personnels. Il me paraît bien cruel que ce livre ait existé pendant toute ma longue vie sans que je m’y plonge. Enfin voilà, c’est fait.

Le récit nous présente une partie de la vie d’un personnage dont l’autrice nous raconte d’emblée qu’il va connaître une trajectoire illustre (dont l’essentiel n’est d’ailleurs pas inclu dans ce volume, et que Le Guin n’avait aucune intention d’explorer davantage à l’époque). On le découvre petit garçon, gardien de chèvre sur l’île de Gont, puis dans ses premiers tâtonnements de sorcier, lors de son apprentissage dans une école de magie, et enfin dans les années qui suivent son enseignement, où il va longuement payer une erreur commise en raison de son arrogance. C’est à la fois un bildungsroman, un récit initiatique et une fable sur l’hubris et la manière dont un individu peut parvenir à dompter ses démons intérieurs. Certains ont voulu y voir un précurseur des aventures de Harry Potter, sans doute parce qu’il y a une école de magie dans « Le Sorcier de Terremer », mais ni l’un, ni l’autre n’ont inventé ce concept et les deux oeuvres ont finalement très peu de choses en commun.

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Parmi les tours de force du roman, son protagoniste, Epervier, ou Ged, un jeune homme difficile à aimer : arrogant et revanchard dès qu’il s’initie à la magie et dévoile tout son talent pour cette discipline, il devient progressivement amer et se referme sur lui-même, et ce n’est qu’à la fin du roman qu’il finit par découvrir qui il est et comment il fonctionne, et conquiert ses défauts les plus rédhibitoires. Entre les mains d’une autrice moins talentueuse, on aurait tôt fait de décrocher de ce roman au coeur duquel vient se loger un personnage si désagréable, mais elle parvient à nous attacher à sa destinée malgré tout, parce qu’on parvient toujours à comprendre ce qui l’anime, et qu’il finit par être la principale victime de sa prétention.

Le style du « Sorcier de Terremer » diffère des romans contemporains de fantasy (comme d’ailleurs de ceux publiés à l’époque). Le récit est écrit comme une fable, ou comme une chronique médiévale. L’autrice ne souligne aucun effet et s’interdit de s’apesantir sur les émotions ressenties par les personnages. Elle laisse parler les faits, souvent avec une certaine distance, et s’autorise des raccourcis où des événements qui auraient pu occuper des chapitres entiers sont résumés, voire expliqués par un narrateur omniscient qui peut paraître expéditif. Le résultat, c’est un récit très dense, où chaque chapitre nous plonge dans une situation nouvelle, et où le lecteur finit malgré tout par s’attacher aux personnages et aux lieux, une fois qu’il est parvenu à domestiquer les codes du roman.

Ce choix stylistique a un autre effet : il confère au livre un vernis de classicisme, qui dissimule avec effronterie son originalité et son caractère iconoclaste. Ici, rien n’est comme dans les classiques de la fantasy qui ont précédé Terremer, et à dire vrai, l’oeuvre est si singulière qu’elle détonnerait même si elle paraissait aujourd’hui. Ici, pas de grands continent semé de montagnes et de vastes prairies, mais un éparpillement d’îles ; pas de chevaux, mais des bateaux ; aucun des personnages principaux n’est un homme blanc ; on n’empoigne pas d’épée, d’ailleurs, on ne se sert pas de la violence pour régler les conflits. Quant à la magie, qui est par bien des aspects au centre de l’action, elle est à la fois traditionnelle et singulière, juste assez expliquée pour nous faire comprendre ses limites, juste assez mystérieuse pour qu’elle ne finisse pas par ressembler à de la mécanique.

Encore deux mots des derniers chapitres, où le récit prend quelques distances avec ce qui précède, du point de vue du style comme de celui du rythme. L’action se fait plus lente, les enjeux plus vifs, et les pages se peuplent d’une profonde mélancolie, alors que les personnages semblent disparaître au coeur d’un monde qui les dépasse, rappelant par moment la poésie d’un Robert Frost ou les romans de Charles Ferdinand Ramuz.

Le pitch

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Le Fictiologue joue les réducteurs de tête en ce moment, en examinant les différentes manières de résumer un texte littéraire, dans le but d’atteindre des objectifs divers. Nous avons déjà abordé le sujet, qui sert de concept, de point de départ à une histoire ; nous avons ensuite détaillé le synopsis, qui détaille l’intrigue d’un projet, souvent pour le soumettre à une maison d’édition. Cette fois-ci, je vous propose d’aborder un autre passage obligé de l’activité d’une romancière ou d’un romancier : le pitch.

D’habitude, je n’aime pas trop utiliser des anglicismes dans mes articles, surtout dans les titres, parce que j’estime qu’une de mes missions en tant qu’écrivain francophone est d’être au service de la langue, mais comme je ne suis pas à une contradiction près, je fais une exception, parce que ce mot-ci est rigolo à lire et à dire, comme d’ailleurs celui de la semaine prochaine, donc je m’y autorise. Cela dit, ce terme est loin d’être intraduisible. On pourrait très bien dire « argument » ou « lancement », sans rien perdre dans l’opération.

Bref. Le pitch, c’est, pour faire simple, un condensé de votre roman destiné à donner irrésistiblement envie de le lire. Situé à mi-chemin entre le résumé et l’argument de vente, il n’a qu’un but : susciter la curiosité de la personne qui le découvre. Si c’est un lecteur, le pitch est destiné à provoquer l’acte d’achat. Si c’est un éditeur, il ne doit avoir qu’une seule envie, après en avoir pris connaissance : vous faire signer un contrat.

Votre arme maîtresse pour vendre votre texte

On peut même aller plus loin. Si le sujet constitue le cœur de votre histoire d’un point de vue littéraire, le pitch en est le cœur du point de vue du marketing. C’est votre arme maîtresse pour vendre votre texte, celle que vous allez utiliser en salon, lors de dédicaces, sur les réseaux sociaux ou dans n’importe quelle conversation pour séduire les lecteurs ; celle dont vous allez vous servir pour donner envie aux éditeurs de s’intéresser à vous ; pour convaincre les journalistes, les blogueurs, les critiques de parler de votre livre ; celle qui sera utilisée par un agent pour vendre le projet à un éditeur, par un membre d’un comité de lecture pour persuader une maison d’édition de s’intéresser à la manuscrit, par celle-ci pour évoquer votre projet auprès de ses réseaux de diffusions, et par les libraires pour le vendre à leur clientèle. Le pitch, c’est le schibboleth qui va permettre à votre roman de circuler et d’être imprimé par millions d’exemplaires.

Un orphelin va dans une école pour les magiciens

Un professeur découvre des secrets cachés dans de vieilles œuvres d’art en cherchant le Saint-Graal

Une lycéenne introvertie tombe amoureuse d’un vampire

Un astronaute, naufragé sur Mars, doit trouver un moyen de survivre

Peut-être que là, vous êtes un tout petit peu anxieux. C’est normal : rater votre pitch, c’est un luxe que vous ne pouvez pas vous payer. Afin de mettre toutes les chances de votre côté, tâchez d’observer les quelques règles décrites ci-dessous.

Un bon pitch doit être court. Les anglophones les surnomment « elevator pitch », comprenez, un argument qui peut être communiqué lors d’une conversation délivrée le temps d’un bref trajet en ascenseur, si possible en compagnie du patron d’une grande maison d’édition qui se trouverait piégé avec vous pendant quelques dizaines de secondes (on peut rêver). Dans la mesure du possible, limitez-vous à une ou deux phrases, et tâchez si possible de ne pas dépasser une vingtaine de mots (et en aucun cas plus d’une cinquantaine de mots).

L’idée n’est pas d’expliquer votre histoire

Pour y parvenir, retirez-en presque tout le contenu de votre bouquin. L’idée n’est pas d’expliquer votre histoire ou de détailler votre démarche. Tout cela peut venir plus tard, dans un deuxième temps. Il s’agit simplement de ne conserver que les éléments qui vont susciter la réaction suivante : « Hé, ça a l’air intéressant, dis m’en plus ! ».

Comment on fait ça ? Comme toujours avec le travail des mots, on couche une idée sur le papier, puis une autre, puis on triture, on bouture, on modifie, on améliore, jusqu’à ce que ça nous semble convenir. N’hésitez pas à soumettre votre pitch à vos bêta-lecteurs, si vous en avez.

Et dans le doute, faites passer un test à votre pitch, en vous posant les questions suivantes et en y répondant de manière impitoyable :

  • Est-ce que c’est court ? Est-ce qu’on peut le raccourcir ? Est-ce que chaque mot est indispensable ?
  • Est-ce que c’est unique ? Est-ce que cela semble distinct de tous les autres romans du même genre ?
  • Est-ce que c’est mémorable ? Est-ce que le pitch est suffisamment frappant pour que la personne s’en rappelle 24 heures après l’avoir entendu ?
  • Est-ce que c’est efficace ? Est-ce que cela peut pousser un lecteur potentiel ou un éditeur à se dire : « Hé, ça a l’air intéressant, dis m’en plus ! » ?

Il est possible de concevoir des pitches un peu plus long que ça, de la taille d’un paragraphe, à utilise dans des circonstances où votre public consent à vous accorder un peu plus d’attention. C’est le genre de matériel que je vous ai déjà suggéré d’inclure dans votre communiqué de presse quand j’y ai consacré un article. Mais pour l’essentiel, la démarche est la même : un texte court pour susciter l’envie d’un livre.

Un orphelin anglais de onze ans tout ce qu’il y a d’ordinaire se voit ouvrir les portes d’une école pour magiciens. Alors qu’il suit des cours pour se servir de son balai et de sa baguette magique, il est confronté à un secret de famille, lié à un effroyable sorcier dont personne n’ose prononcer le nom.

Un pitch réussi doit vanter les mérites de votre livre, pas en vous jetant des fleurs, mais en en soulignant les qualités intrinsèques. En d’autres termes, en en prenant connaissance, on doit comprendre immédiatement ce qui, dans votre roman, est frappant, unique, rafraichissant, captivant. S’il donne l’impression inverse, s’il semble banal, déjà vu, réchauffé, vous n’allez pas en vendre beaucoup. Un mauvais pitch peut tuer tous vos efforts. C’est une cruelle réalité.

Le livre vu comme un produit

Alors oui, je vous entends déjà grincer des dents : là, on se situe fermement dans le territoire du capitalisme. C’est le livre vu comme un produit. Du pur consumérisme. Ça ne vous fait pas nécessairement plaisir, vous avez peut-être même l’impression de prostituer votre manuscrit, à résumer ainsi vulgairement ses innombrables subtilités dans le but avilissant de faire du chiffre. Rien ne vous y oblige, en réalité. Mais si vous souhaitez convaincre un maximum de lectrices et lecteurs de vous lire, c’est bien ainsi qu’il faut procéder, et fondamentalement, il n’’y a rien de mal à ça. Détendez-vous.

Deux mots encore pour vous dire que même si vous avez trouvé le pitch parfait, celui-ci sera forcément un argument de vente générique pour votre roman, destiné au public dans son ensemble. Il est possible de pousser le vice jusqu’à développer des pitches pour des publics ciblés, en soulignant des qualités différentes en fonction d’intérêts particuliers. C’est particulièrement utile en salon, lorsqu’on est confronté à des profils de lectrices et lecteurs distincts. Il peut être pratique d’avoir en tête des approches qui s’adaptent à leurs centres d’intérêts spécifiques.

Ainsi, en ce qui concerne mon roman « Révolution dans le Monde Hurlant », le pitch de base peut s’exposer ainsi :

Une jeune femme part à la recherche de son frère qui s’est fait enlever dans un univers parallèle déchiré par une révolution

C’est celui que j’utiliserais face à une personne dont je ne sais rien et qui ne révèlerais aucun détail au sujet de ses préférences de lecture. Cela dit, une bonne partie des personnes que je rencontre en séance de dédicace sont intéressées par la fantasy ou plus généralement par la littérature de genre, donc face à eux j’utiliserais plutôt l’argumentaire suivant :

Une jeune femme de notre monde se retrouve mêlée, dans un univers baroque et fantastique, à une guerre larvée entre un pouvoir religieux et des rebelles qui contrôlent les lois de la fiction

Et puis il m’est arrivé d’essayer de convaincre des personnes passionnées de romances de s’intéresser à mon roman. Dans ces circonstances, je l’ai plutôt décrit de cette manière :

Une jeune femme vit une relation drôle et volcanique avec un coup d’un soir qui s’est embarqué par inadvertance dans son voyage dans un univers parallèle

Naturellement, si ce genre de chose vous amuse, n’hésitez pas à décliner votre pitch pour tous les publics possibles et imaginables.

Le piège du pastiche

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Certains auteurs ont été motivés à prendre la plume par amour pour un livre ou un écrivain. Je l’ai mentionné dans mon billet sur les « Quatre espèces d’auteurs », mais cela mérite qu’on s’y attarde davantage, parce que c’est enthousiasmant.

Cela signifie que certaines personnes qui écrivent aujourd’hui ne l’auraient pas fait si elles n’avaient pas trouvé sur leur route une œuvre qui leur a procuré tellement de joie, a fait naître en eux tellement d’idées, a semé les graines de tellement d’appétits que l’envie d’écrire elles-mêmes en est devenue irrésistible. Des romans n’existeraient pas sans d’autres romans. En ce qui me concerne, l’idée que la littérature puisse ainsi être une douce contagion est extraordinaire.

Cela ne veut pas dire que cette situation ne risque pas de présenter certains écueils. Peut-être vous êtes-vous vous-mêmes trouvés dans cette situation, d’ailleurs : vous êtes transportés par une œuvre littéraire (ou même un film, une bande dessinée, une série télévisée, un jeu vidéo), à un tel point qu’une envie irrésistible d’écrire à votre tour vous transporte. Là, trois situations peuvent se présenter.

Certains choisissent d’écrire de la fan fiction, c’est-à-dire de prolonger de leur plume l’univers littéraire inventé par quelqu’un d’autre. C’est en effet une très bonne manière de satisfaire cette pulsion d’écrire, ainsi qu’une bonne manière de se mettre le pied à l’étrier pour celles et ceux qui n’ont pas beaucoup d’expérience. Une deuxième catégorie concerne les autrices et auteurs qui s’embarquent immédiatement dans un projet personnel et original, sans relation avec une autre œuvre, et on ne peut que leur tirer notre chapeau. Le troisième cas est plus problématique : il concerne ceux qui sont tellement emballés par un bouquin qu’ils ont envie de réécrire le même, mais avec leur nom sur la couverture.

Ce genre de livre ne va intéresser personne

Si c’est votre cas, je ne peux que vous décourager de le faire. Comme des millions de personnes, vous avez adoré les Chroniques des Vampires d’Anne Rice, à un tel point que vous vous précipitez sur le clavier pour écrire une œuvre qui lui ressemble étrangement. Vous vous mettez à raconter l’histoire d’une société secrète de vampires, mélancoliques et sophistiqués, et en particulier d’un individu charismatique, que vous appelez Mestat, Restat ou Nestat. Au passage, vous vous permettez quelques déviations qui vous semblent intéressantes, comme par exemple le fait que l’histoire se passe à Baton Rouge plutôt qu’à la Nouvelle-Orléans, et que vos vampires à vous écrivent leur nom « vampyres » avec un « y », gage de distinction.

Autant vous le dire : ce genre de livre ne va intéresser personne. Mais d’ailleurs, intéresser quelqu’un, ce n’est pas nécessairement votre objectif. Peut-être écrivez-vous exclusivement pour votre plaisir personnel, indépendamment de toute référence, sans penser ne serait-ce qu’une seconde à des lecteurs potentiels, et, au fond, pourquoi pas ? Mais écrire un roman réclame une telle masse de travail que ne même pas chercher à le faire lire à un autre être humain me paraît être un beau gâchis. Donc je vous en conjure, réfléchissez-y à deux fois, et envisagez les choses de la perspective d’un lecteur.

Ce que vous avez commis sur le papier s’appelle un pastiche. Dans votre enthousiasme pour ce livre qui vous a tellement plu, vous vous en êtes si peu éloigné que le style, les personnages, les thèmes, les éléments constitutifs du décor rappellent de manière criante l’œuvre originale, et toute personne un brin familière avec celle-ci va s’en rendre compte instantanément. Votre « Barry Hopper à l’Académie des Magiciens » est sans doute très cher à votre cœur, et vous en êtes légitimement fier, mais vu de l’extérieur, il ne s’agit que d’une copie d’un roman bien plus prestigieux.

Les lecteurs vont presque toujours préférer l’original à la copie

Cela ne signifie pas qu’il vous faille obligatoirement être original. Les romans originaux ne sont ni meilleurs, ni pires que ceux qui ne le sont pas. Pour un lecteur pour qui la présence de concepts originaux dans un texte est indispensable (c’est mon cas), il y en a un, deux, trois autres qui ne s’en soucient pas, et au moins encore un qui est activement rebuté par les idées qui ne lui sont pas familières, et pour qui un roman de fantasy où il n’y a pas d’elfes et de nains, ça n’est pas un vrai roman de fantasy. Un livre peut se distinguer de nombreuses manières : une intrigue bien charpentée, des personnages mémorables, un style attachant, et l’originalité n’en est qu’une parmi d’autres. Cela dit, signer une œuvre qui ne cherche pas particulièrement à se démarquer de ce qui existe déjà, c’est une chose, écrire un pastiche, délibérément ou non, c’en est une autre.

Le souci, c’est que les lecteurs ne sont pas idiots : ils vont presque toujours préférer l’original à la copie. S’il n’y a rien ou presque rien dans votre roman qui le distingue de celui qui vous a inspiré, c’est que vous n’avez pas grand-chose à offrir à vos lecteurs, qui vont probablement se demander pourquoi vous avez consacré autant d’efforts à réécrire quelque chose que tout le monde connaît.

Comment, alors, déjouer le piège du pastiche ? Comment, sans rien sacrifier de ce qui vous a donné au départ l’envie d’écrire, pouvez-vous produire une œuvre, pas obligatoirement originale, mais au moins suffisamment singulière pour qu’elle n’apparaisse pas comme une simple décalque ?

Une solution: la technique des deux pas

Il existe une solution simple, que j’appelle la « technique des deux pas. » Pour l’expliquer, mettons-nous en situation : vous êtes inspiré à écrire par les histoires de vampires d’Anne Rice, mais vous préférez éviter de signer un simple pastiche. Dans ce cas, c’est simple : vous partez de l’œuvre de départ, et vous y opérez deux changements majeurs (changer l’orthographe du mot « vampire » ne suffit pas). Par exemple, vous pouvez vous lancer dans une réécriture des Chroniques des Vampires, mais sous la forme d’une romance, et en y ajoutant des loups-garous. Félicitations, vous venez d’écrire « Twilight. » Ou alors, vous décidez que votre protagoniste vampire à vous est une mère célibataire, et que l’histoire se passe à Abidjan. Ou que vos vampires boivent des idées plutôt que du sang, et que l’action se déroule au 17e siècle.

S’éloigner de deux pas du concept qui vous a séduit, c’est une bonne manière de conserver ce qui vous a plu, mais en y apportant la fraîcheur nécessaire pour justifier vos efforts d’écriture. L’appliquer vous mènera à un résultat beaucoup plus satisfaisant pour vous et pour vos lecteurs, sans briser votre élan initial.

D’ailleurs, la technique des deux pas fonctionne pour tous les auteurs, dès qu’ils réalisent qu’un élément de leur roman, un personnage, un lieu, une situation, est trop proche d’un modèle connu, ou bascule dans le cliché. Oui, vous pouvez écrire un roman noir qui met en scène un détective paumé, amateur de whisky, de chapeaux mous et d’imperméables. Mais avant de le faire, demandez-vous si votre protagoniste ne serait pas plus mémorable s’il était bègue et qu’il habitait chez sa mère. Bien sûr, rien ne s’oppose à ce que vous rédigiez un roman dystopique où des jeunes gens sont poussés à s’entretuer par un gouvernement cynique, mais réfléchissez-donc une minute et éloignez-vous de deux pas de ce décor très convenu, pour lui préférer une histoire où des adultes sont poussés à s’entretuer par un gouvernement d’enfants, et où l’action se déroule dans une ceinture d’astéroïdes.

La technique des deux pas constitue non seulement un remède aux pastiches, mais également un moyen simple de générer des idées qui vont rendre vos romans uniques.

Apprends qui tu es

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Pendant quelques semaines, je vais délaisser sur ce blog ma série d’articles thématiques « Éléments de décor », pour reprendre les bases.

L’idée est simple : il s’agit de se rappeler que, lorsqu’on a décidé de consacrer une partie de son temps à l’écriture, lorsqu’on a l’ambition d’être auteur, et même si on a accumulé une solide expérience, on a toujours des choses à apprendre, chacun de nous. Et oui, cet apprentissage peut même toucher à des questions fondamentales, comme celle de l’identité. Avant d’écrire, il faut savoir qui on est, ou en tout cas, à quel type d’auteur on correspond.

Certains, et c’est leur droit, objecterons qu’au contraire, écrire, c’est quelque chose de simple, qui ne nécessite aucune introspection particulière. Les mots nous démangent, on les couche sur le papier, et voilà, il n’y a rien de plus à comprendre. Ce sont nos préférences qui donnent à l’expérience sa validité, et la nature comme la qualité du résultat sont entièrement subjectives.

En ce qui me concerne, j’estime que c’est un peu court. Oui, on prend la plume parce qu’on en ressent le besoin, on écrit pour le plaisir, et c’est très bien, mais c’est n’est après tout que la première partie de la démarche. La seconde concerne les lecteurs. Parce qu’on n’écrit pas dans le vide. Pourquoi écrit-on ? Pour qui écrit-on ? Que souhaite-t-on apporter à celles et ceux qui nous lisent qu’ils n’obtiennent pas déjà en lisant d’autres auteurs ?

Cette réflexion est loin d’être anecdotique. J’ai déjà eu l’occasion de le dire ici : il n’y a pas d’auteur sans lecteur. L’idée même d’être lu fait partie de la définition de l’écrivain. Il ne s’agit pas d’une activité égoïste, que chacun poursuit dans son coin, sans interagir avec qui que ce soit : écrire est une expression, une transmission entre une personne et une autre. Et cette personne, celle qui prend la peine de se pencher avec bienveillance sur le produit de notre travail, la moindre des choses serait de ne pas lui faire perdre son temps.

C’est sans doute un peu douloureux de l’admettre, mais à notre époque, il y a déjà beaucoup trop d’auteurs, beaucoup trop de livres. Rendez-vous compte : 68’000 titres sont publiés chaque année en France. Oui, ça fait 180 par jour. Il y en a probablement un ou deux qui sont sortis depuis que vous avez commencé à lire cette chronique. Le constat est implacable : la plupart des auteurs ne sont pas lus, ou très peu. Nombreux sont ceux qui n’ont pour ainsi dire pas de lectorat au-delà d’un cercle restreint d’amis.

Cela oblige un écrivain à se livrer à un examen de conscience, qui commence avant même qu’il entame la rédaction de son manuscrit et qui se poursuit bien après la publication : qu’est-ce que j’apporte, moi, qui n’existe pas déjà ? Dans cette masse énorme de bouquins en tous genres, qu’est-ce qui permet de me distinguer des autres ? Votre roman, c’est impératif, il ne faut pas qu’il ait pu être écrit par quelqu’un d’autre que vous, sinon, eh oui, autant lire la prose de quelqu’un d’autre.

Cela peut paraître évident, mais ça ne l’est pas tant que ça. Certains, après tout, et ils sont nombreux, attrapent le virus de l’écriture par imitation. En deux mots, ils ont envie de refaire un peu les mêmes trucs qu’ils aiment lire. Certains s’adonnent à la fan fiction, et situent délibérément leurs œuvres dans le sillages de leur écrivain favori. Mais d’autres livrent de pâles copies de ce qui les a fait vibrer, et c’est ainsi qu’on se retrouve avec d’innombrables décalques de Harry Potter ou de Lestat le Vampire. On rentre dans le domaine de la littérature-écho, vérolée par les clichés, les stéréotypes et les emprunts en tous genres. Comme le disait Laurent Barthes, « Le stéréotype peut être évalué en termes de fatigue. Le stéréotype, c’est ce qui commence à me fatiguer. D’où l’antidote : la fraîcheur du langage. » En d’autres termes : un lecteur préférera toujours l’original à la copie, et sera rarement rassasié par l’œuvre d’un auteur qui n’apporte rien de nouveau. Il faut être un tout petit peu plus ambitieux que ça.

Ici, on ne parle même pas nécessairement d’originalité. Peut-être que votre roman ne contient aucune idée qui sorte du lot, peut-être, par exemple, qu’il s’appuie sur tous les clichés de la fantasy, ou sur ceux du roman noir. Malgré tout, un écrivain de talent parviendra parfois à transcender la banalité de ses idées, pour en tirer le meilleur. Même aujourd’hui, au 21e siècle, alors que ces concepts sentent le défraîchi depuis une éternité, on peut encore écrire de bons romans nains/elfes/dragons, laser/martiens/fusées ou détective/gangsters/femmes fatales.

Parce que ce qui compte, en définitive, ce n’est pas l’originalité d’un roman, c’est la singularité de l’auteur. Un écrivain n’a, en-dehors de ça, rien d’autre à offrir qui en vaille la peine. N’importe qui de persévérant est capable de rédiger un roman, après tout. Mais vous êtes le seul à pouvoir écrire votre roman, personne d’autre que vous n’a votre vision. Un auteur, c’est quelqu’un qui voit des choses que les autres ne voient pas, qui perçoit le monde d’une manière qui lui est propre et qui parvient à coucher tout ça sur le papier de manière à partager cette singularité avec d’autres. Et parfois, celle-ci parvient à toucher du doigt une forme d’universalité qui est la marque des grands écrivains.

Encore faut-il comprendre qui vous êtes, et ce que vous avez de spécifique à offrir. Posez-vous la question : qu’est-ce qui vous rend unique ? Qu’est-ce que vous êtes le seul à voir ? Qu’est-ce que vous réussissez à faire que vos contemporains n’accomplissent pas aussi bien que vous ?

Ça ne sont pas forcément de grandes choses, ça peut être un détail, une manière de tourner les phrases, un centre d’intérêt particulier. Votre singularité peut aller se loger dans votre style, dans vos idées, dans vos personnages, dans la construction de vos intrigues, dans la manière dont vous percevez l’humanité et les rapports entre les gens, dans les thèmes qui vous sont chers.

Alors ce qui est unique chez vous, localisez-le, identifiez-le, entretenez-le, développez-le. C’est important de se poser ces questions avant de commencer à écrire. Cela dit, c’est un processus. Certains passent leur vie à chercher. Et même une fois que vous saurez qui vous êtes en tant qu’écrivain, cela ne signifie pas que vous pouvez vous reposer sur vos lauriers, au contraire : faites fructifier votre potentiel, améliorez-le, trouvez-vous d’autres singularités afin d’échapper à la stagnation. Être écrivain, en-dehors d’un loisir, peut ainsi devenir une fascinante aventure intérieure, à la découverte de soi.

Certains auteurs souffrent de ce qu’ils appellent le « syndrome de l’imposteur » : ils ne se sentent pas à leur place, ont l’impression que ce qu’ils écrivent n’intéressera personne. L’introspection est le remède : apprenez qui vous êtes, quel genre d’auteur vous êtes, et vous ne vous sentirez plus jamais comme un imposteur – et vos lecteurs non plus.

⏩ La semaine prochaine: Apprends à lire

 

Éléments de décor : l’école

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L’être humain naît avec une tête aussi grande qu’il est possible qu’elle soit, afin de protéger son énorme cerveau. Comme s’il fallait compenser cet exploit, la nature a créé cet organe presque complètement vide, ce qui fait que le premier quart de la vie d’un petit d’homme est passé à apprendre. Il apprend par lui-même, par l’observation et par l’expérience, mais il apprend également des autres. Et à partir du moment où les connaissances deviennent trop spécialisées pour qu’elles soient enseignées uniquement par ses parents, il entre à l’école.

Dans ce billet, on s’intéresse à cette institution indispensable et imparfaite, immuable et en même temps en évolution constante, de la maternelle jusqu’aux premières années d’université, tout en incluant des écoles spécialisées, celles qui enseignent le sport, la danse, l’art ou d’autres disciplines. Quel que soit le domaine, quel que soit le niveau, quelle que soit la méthode, toutes les écoles jouent un rôle crucial dans nos existences, et elles constituent toutes un objet littéraire fascinant.

L’école, c’est sa raison d’être, est un lieu de transmission du savoir. C’est là que des enseignants, de plus en plus spécialisé et de plus en plus pointus, font passer ce qu’ils ont appris à des élèves ou à des étudiants, à travers des cours, des exercices, des ateliers ou toutes sortes d’autres outils pédagogiques. Toutefois, si c’était à cela que ça se cantonnait, on n’aurait aucun besoin de se pencher sur le cas d’une institution aussi banale.

Oui, l’école transmet les connaissances, mais elle le fait de manière imparfaite, frustrante, incomplète, biaisée. Afin de se montrer efficaces vis-à-vis du plus grand nombre, les professeurs laissent souvent de côté les individus qui ont le plus de difficultés dans chaque branche. Ceux-ci se font vite distancer et ont de plus en plus de peine à suivre, jusqu’à la rupture. À l’autre extrême, les éléments qui ont le plus de facilités sont freinés dans leur progression et ne parviennent pas à réaliser leur véritable potentiel parce qu’ils doivent attendre les autres – et ça aussi peut mener à un autre type de rupture. Les élèves à la marge doivent trouver d’autres moyens d’apprendre s’ils ne veulent pas être laissés de côté.

Autre difficulté : l’école n’est pas uniquement un lieu d’enseignement, c’est aussi un lieu d’éducation, qui apprend aux enfants à faire partie d’un groupe, à suivre une consigne, à respecter les règles, à se conformer aux instructions. Si tout cela est utile, cela signifie également que l’école est une machine à normaliser, un rouleau compresseur qui soumet chacun à une seule et même norme – les têtes qui dépassent sont peu appréciées, et les talents singuliers sont peu reconnus, voire activement combattus. Au nom de l’égalité des chances, l’école peut parfois se muer en une usine à médiocrité.

En plus de tout cela, l’école a un rôle à jouer au sein de l’économie. Plutôt que l’excellence des Grecs ou des Renaissants, elle poursuit comme objectif de transmettre aux enfants des connaissances de base qui sont jugées utiles pour l’économie. Elle sert à fabriquer des travailleurs qui vont pouvoir travailler et trouver leur place dans le tissu économique. Les talents qui ne sont pas immédiatement monnayables n’y trouvent pas facilement leur place.

Autre aspect qui peut être vécu comme une forme de violence : l’école est un lieu de socialisation. Elle apprend aux enfants à jouer en groupe, à nouer des amitiés, à forger des compromis, à convaincre et à toutes sortes de choses qui vont lui être utiles par la suite. Hélas, cette fonction n’est absolument pas encadrée : il est entendu que cet apprentissage de la vie en société va se faire naturellement, et que la seule mission de l’institution est de mettre un terme aux débordements trop visibles. C’est ainsi que se constituent des hiérarchies, que les enfants se divisent en clans, qu’il y a des harceleurs et des harcelés, des élèves populaires et des marginaux, des riches et des pauvres. En fait, du point de vue de l’organisation sociale et de la manière dont celle-ci se constitue, rien ne distingue une école d’une prison de haute sécurité.

À cause, ou peut-être grâce à toutes ces contradictions, mais aussi parce qu’elle intervient à un stade de la vie qui est celui de tous les apprentissages, et qu’elle occupe une place centrale dans d’innombrables cultures, l’école représente un objet littéraire digne d’intérêt, qui peut être utilisé de multiples manières différentes, pour raconter toutes sortes d’histoires.

L’école et le décor

Avant d’être une institution, l’école est un lieu. Ou plutôt : il s’agit d’un empilement de lieux différents, qui ne sont pas habités ni vécus de la même manière en fonction de qui on est. La salle de classe constitue donc un élément de décor particulièrement notable, celui où les élèves apprennent. Mais elle apparaît sous un jour différent à l’enseignant, lui qui y entre par obligation professionnelle ou par vocation, mais toujours avec des objectifs bien précis : pour lui les enjeux sont plus clairs et les murs plus étroits. Le même lieu peut être vu de manières bien différentes par les uns et par les autres, ce qui, en tant que tel, pourrait déjà servir de base à une histoire fascinante.

La salle des profs est un lieu au sein de l’école qui ne fonctionne pas selon les mêmes codes que les autres : ici c’est un lieu de socialisation, oui, mais pour les enseignants plutôt que pour les élèves. C’est aussi un lieu de travail, mais surtout un lieu de vérité, ou certaines choses qui ne sauraient être dites à haute voix ailleurs – à propos des enfants, des parents ou des supérieurs – sont partagées librement. Au fond, entre les romanciers, elle pourrait devenir un véritable décor de sitcom.

Les parents d’élèves aussi forment un groupe aux intérêts communs mais aux origines divergentes, et qui ont sur l’école un regard encore différent de ceux des élèves et des profs. Ils n’ont pas réellement de local qui leur est propre, en-dehors des réunions des associations qui les regroupent, mais ils constituent collectivement un microcosme dans lequel peuvent venir se loger toutes sortes d’histoires. Dans la catégorie des témoins privilégiés du monde scolaire, on peut aussi inclure ceux qui y travaillent sans y enseigner : les concierges, cantiniers, infirmiers, inspecteurs, etc…

Et puis l’école est également modelée par des individus qui n’y travaillent pas directement. Des experts en sciences de l’éducation qui échafaudent les prochaines réformes jusqu’aux élus qui prennent les décisions budgétaires et programmatiques qui vont modifier la vie quotidienne de tous les autres acteurs du monde scolaire, leur point de vue aussi peut être intéressant. Un roman racontant le périple d’un ministre de l’éducation idéaliste qui finit par accoucher d’une mauvaise réforme pourrait être passionnant.

En-dehors des lieux et des institutions, certains moments ont un potentiel plus grand que les autres d’intéresser un auteur. C’est naturellement la période des examens qui se prête le plus aux déconvenues, aux retournements de situation et aux sentiments exacerbés qui offre le plus de potentiel. Mais dans un système scolaire comme celui des États-Unis, où l’année scolaire est rythmée par quantité de bals et autres rituels qui ont peu de choses à voir avec l’enseignement, ces moments-charnière sont plus nombreux. C’est peut-être le cas aussi dans votre roman.

Pour des raisons différentes, une réforme scolaire, et la manière dont elle est vécue par les élus, les élèves, les profs et les parents, offre également un terreau fertile en matière de drames en tous genres. Un romancier pourrait s’en servir pour souligner l’absurdité de certaines orientations politiques en matière d’école.

L’école et le thème

Le thème par excellence qui se rattache à l’école, c’est celui de la formation, de l’évolution d’un individu. Cela renvoie à un genre en particulier, le bildungsroman, roman de formation, déjà évoqué ici dans le billet sur l’enfance. Tout simplement, parce qu’il grandit, parce qu’il traverse des épreuves, parce qu’il apprend, le personnage du début du roman est très différent de ce qu’il devient dans les dernières pages.

Plus généralement, le thème de l’apprentissage recèle lui aussi beaucoup de potentiel. Qu’est-ce que cela signifie d’apprendre ? Comment peut-on s’y prendre ? Pourquoi s’y astreint-on ? Qu’y gagne-t-on et qu’y perd-on ? L’histoire d’un mauvais élève qui parvient à surmonter ses difficultés pour se découvrir des talents qu’il ne soupçonnait pas est une trame classique qui peut être apprêtée de toutes sortes de manière différente.

Miroir du précédent, le thème de la transmission est également intéressant. Pourquoi enseigne-t-on ? Qu’est-ce qui nous pousse à nous consacrer à aider la prochaine génération à voler de ses propres ailes ? Qu’est-ce que cela apporte aux femmes et aux hommes qui s’y consacrent ? Comment procèdent-ils ? Qu’est-ce que cela leur coûte en termes de frustrations et de désillusions ? Un romancier pourrait d’ailleurs traiter les thèmes de l’apprentissage et de la transmission en parallèle, et montrer qu’il ne s’agit pas, dans les deux cas, d’un chemin facile, et qu’il existe de nombreux parallèles entre les deux situations.

L’école, qui est comme un modèle en miniature de la société, offre également l’occasion aux auteurs de jouer les naturalistes et d’examiner un groupe humain et ses mécanismes, dans un milieu fermé et coupé d’une bonne partie des complications du monde extérieur. Le monde scolaire fonctionne comme un petit univers avec ses propres règles, mais il s’agit également d’une bulle, et il peut être intéressant de chercher à savoir ce qui motive celles et ceux qui font le choix d’enseigner, et donc de ne jamais vraiment en sortir.

L’école et l’intrigue

Par nature, l’école est un lieu très structuré, ce qui offre à un écrivain un canevas où il peut placer son histoire.

Une journée scolaire à ses rythmes, de même qu’une semaine, avec un emploi du temps défini et souvent rigide, et on observe la même régularité au niveau de l’année scolaire dans son ensemble. Ce n’est pas par hasard que J.K. Rowling a choisi le cadre d’une année d’enseignement pour y inscrire chacun des romans de sa série Harry Potter. Un autre type de récit pourrait très bien s’inscrire dans un temps plus bref : une semaine, voire une journée d’école, avec ses passages obligés et son temps structuré par des cours et des pauses.

Et puis, même s’il s’agit d’une notion qui se prête moins naturellement à structurer un récit, un roman pourrait être rythmé par les notes et les moyennes d’un élève : l’évolution de ses performances scolaires ajoutant une notion de suspense qui pourrait donner à une histoire une forme intéressante.

L’école et les personnages

Tout le monde ou presque est allé à l’école, a connu un cursus court ou long, a rencontré des difficultés d’ordre académique, social ou existentiel. Cela peut aider à définir vos personnages : comment ont-ils traversé leur période scolaire ? Est-ce qu’il s’agit de quelque chose qui les a marqués, qui a laissé sur eux des traces, qui a forgé leur attitude vis-à-vis de l’école en général ? Et s’ils sont parents, quel regard portent-ils sur le cursus de leurs enfants ? Sont-ils impliqués ? Sévères ? Laxistes ?

La plupart des adultes ne pensent plus trop à leur propre parcours scolaire au fil des années, aussi il n’est pas indispensable que vous réfléchissiez à la question pour chacun de vos personnages, mais ça peut être une manière d’enrichir l’un d’entre eux. Mais naturellement, si votre roman se passe à l’école, ou si la notion de transmission joue un rôle très important dans votre univers, il peut être enrichissant de mener cette réflexion, même de manière brève, pour la plupart d’entre eux.

Ainsi, un roman de fantasy mettant en scène des moines-guerriers ou des enchanteurs sortis de l’académie de magie pourra souhaiter inclure cette dimension dans la définition des personnages. À l’inverse, si votre personnage principal est chauffeur poids lourd et qu’il n’a conservé aucun lieu, aucune blessure et aucun souvenir marquant de son passage à l’école, il est inutile de trop y réfléchir : ça ne vous apportera rien.

Variantes autour de l’école

La littérature jeunesse a trouvé dans l’école la toile de fond universelle de toutes les histoires, et, en particulier depuis Harry Potter, on ne compte plus les romans dont le décor est une école ou un lycée avec un côté un peu spécial – en général, il suffit de rajouter un qualificatif : l’école des vampires, l’école des clones, l’école qui voyage dans le temps, l’école des sorcières, l’école sous la mer, l’école des robots, l’école de l’espace. Les variations sont infinies, même si au fond ça revient juste à changer la couleur du sirop dans le granité : on reste sur la trame hyperclassique du milieu scolaire, auquel on accole un élément d’exotisme pour que l’œuvre se distingue tout de même un peu.

Pour le reste, les variantes de l’école qu’on trouve dans la littérature de genre consistent généralement à supprimer l’école et à la remplacer par une solution technologique pour accélérer l’apprentissage : hypnose, transmission de pensée, réalité virtuelle, ou même injections par intraveineuse, comme dans le film « THX 1138 » de George Lucas.

Pourtant, entre l’école immuable de la littérature jeunesse et l’école sans école de la littérature de genre, il doit y avoir d’autres solutions, qu’il serait intéressant d’explorer dans des romans. Et si on écrivait un roman post-apocalyptique dans lequel des profs tentent de maintenir tant bien que mal une école et se lancent dans des expéditions risquées dans les ruines des grandes villes dans le but de trouver des livres ? Et si une civilisation extraterrestre créait une école destinée aux plus grands cerveaux de l’humanité, dans le but de les préparer aux concepts complexes qu’ils devront maîtriser une fois que la Terre s’ouvrira aux autres espèces qui peuplent le cosmos ? Et si un enfant humain et un enfant lutin participaient à un programme d’échange, le premier allant dans une école de lutins, à apprendre à parfumer la rosée du matin, à changer la couleur des papillons et à disparaître derrière des champignons, le second s’initiant aux maths, à l’histoire et à la gymnastique ?

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