Critique : L’homme aux cercles bleus

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A Paris, depuis quelques semaine, un inconnu trace au sol des cercles de craie bleue qui entourent des objets banals. Le commissaire Adamsberg, qui vient d’entrer en fonction, suspecte que cela va tourner à l’affaire criminelle, et les faits lui donnent vite raison.

TITRE : L’homme aux cercles bleus

AUTRICE : Fred Vargas

EDITEUR : Viviane Hamy (ebook)

On m’a récemment demandé comment je choisis les livres que je lis, et c’est en répondant à cette question que je me suis rendu compte de la manière dont je fonctionne dans ce domaine : je lis soit des romans écrits par des personnes que je connais, soit des textes dont j’imagine qu’ils vont me servir à quelque chose pour mes projets d’écriture. Il y a quelques exceptions, mais pas tant que ça.

C’est dans la deuxième catégorie que vient se ranger ce titre. Pour mener à bien le roman que je suis en train d’écrire, j’ai souhaité mettre en place un guide stylistique spécifique, qui comprend un certain nombre de règles simples auxquelles je choisis de m’astreindre, mais qui incorpore également quelques autrices et auteurs dont je cherche à m’inspirer. En le mettant en place, je me suis rendu compte qu’il me manquait quelque chose : en deux mots, il y a des trucs que je ne savais pas faire, et plutôt que de les réinventer complètement, j’ai décidé de partir à la recherche d’un modèle. Très spécifiquement, j’avais envie de lire un roman policier, assez court si possible, avec peu de personnages, une dimension psychologique, beaucoup de dialogues, le tout écrit par un-e francophone. Je précise que mon projet en cours n’est pas un polar, mais il me semblait qu’en plus du style, j’avais des éléments de construction à puiser dans ce genre-là, qui pouvaient me faciliter la vie. J’ai donc opéré une sorte de casting, afin de dénicher l’autrice ou l’auteur qui pouvait m’apporter le plus, et après avoir parcouru pas mal d’extraits, j’ai fini par jeter mon dévolu sur Fred Vargas.

« L’homme aux cercles bleus » est le premier roman où apparaît le personnage fétiche de l’autrice, le commissaire Jean-Baptiste Adamsberg, ainsi que son adjoint Adrien Danglard. Ces deux personnages forment un duo de protagonistes qui fonctionne par son contraste : le premier est un romantique tout en flair, en instinct, en doutes, en chaos ; le second un père de famille tout en preuves, en méthode, en culture générale, en procédure. Ils ne se comprennent pas mais leur association est efficace, et la relation de travail naissante entre ces deux hommes sert de colonne vertébrale au roman.

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Un des génies de Fred Vargas, c’est d’avoir choisi comme protagoniste un enquêteur qui procède grâce à des fulgurances qu’il ne parvient pas à expliquer, qui agit sans réellement réfléchir, et qui ne communique pas toujours efficacement à ses collaborateurs. En plus, sa vie privée le préoccupe beaucoup. Cela permet de le caractériser, bien sûr, mais également de garder le lecteur à bonne distance de l’intrigue, et de lui cacher, jusqu’au dénouement, les tenants et les aboutissants de l’enquête. On ne sait rien des déductions d’Adamsberg parce qu’Adamsberg ne déduit rien, on ne sait rien de ses soupçons parce que lui-même n’arrive pas à les formuler explicitement.

Le roman est rédigé à la troisième personne avec narrateur omniscient : on découvre les actes des personnages de l’extérieur, et leurs pensées de l’intérieur. Cela permet de varier les points de vue, de découvrir ce que les policiers pensent les uns des autres, mais également la vie intérieure des suspects – si les pensées de l’un d’eux ne sont pas présentées aux lecteurs, mieux vaut se méfier. C’est parfois un peu frustrant que le récit ne soit pas focalisé sur Adamsberg, en particulier parce que le style et les dialogues de Vargas ont beau être savoureux, ils ont tendance à être un peu uniforme : tout le monde s’exprime de la même manière.

L’intrigue, quand Adamsberg daigne s’y intéresser, est bien ficelée, suffisamment riche en rebondissements pour satisfaire le lecteur, avec quelques fausses pistes savoureuses – il y en a une dans le titre, d’ailleurs. Surtout, elle se base sur une idée originale, cette sorte de happening artistique qui se transforme en meurtre, avec un policier qui entame son enquête avant que le moindre crime soit commis. Le ton frôle par moment le réalisme magique.

Le bilan est très positif en ce qui me concerne : j’ai appris ce que je cherchais, et même davantage, et j’ai passé un moment de lecture agréable. Je relirais avec plaisir d’autres romans de Fred Vargas.

2 réflexions sur “Critique : L’homme aux cercles bleus

  1. j’avais beaucoup aimé ce cercle bleu, et pas mal d’autres Fred Vargas ; petit bémol, à la longue, les ficelles narratives apparaissent, et j’ai eu l’impression que les personnages devenaient peu à peu des emblèmes de leur caractéristiques (je ne sais pas trop comment dire ; disons qu’auparavant, tel était malin, ou fort, et que dans le dernier Vargas que j’ai lu, il devenait une incarnation de la force, ou de la malice ; un peu comme un super-héros de Comics ou un dieu grec… 🙂
    mais sinon, oui, Fred Vargas a retourné le roman policier francophone, et en bien.
    peux tu nous en dire plus sur ta démarche « lire pour un projet d’écriture » ?

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    • Ça mériterait probablement que j’y consacre un article !

      L’idée est d’aller voir comment certains auteurs ont résolu certains soucis auxquels je suis confronté. Dans le cas d’espèce, j’avais décidé d’écrire un roman court, avec très peu de personnages, beaucoup de dialogues et une partie de l’intrigue consacrée à une enquête. Tout cela est très inhabituel pour moi, et suscitait un certain nombre de questions: « Comment faire pour ne pas sombrer dans le bavardage ? », « Les lecteurs vont-ils s’ennuyer, à suivre toujours les mêmes personnages ? », « Comment installer les éléments du mystère, puis livrer les réponses au bon moment ? », « A quel point doit-on utiliser le monologue interne des personnages ? »

      En fait, l’objectif consiste à voir comment d’autres que moi s’y sont pris, principalement pour me rassurer que tout cela est bel et bien possible. Il ne s’agit pas d’aller puiser des recettes toutes faites, ou de copier un style, plutôt d’acquérir un point de référence, qui me permet ensuite de m’en éloigner au besoin. En plus de Vargas, j’ai également lu des morceaux d’autres auteurs de polars, et relu un peu de Paul Auster. En ce moment, je lis un Stephen King pour voir comment il réussit ses transitions entre « la la la, tout va bien » et « brrrr j’ai peur ».

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