Apprends à travailler

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En-dehors de celles et ceux qui ont déjà achevé l’écriture d’un roman, peu de gens peuvent comprendre à quel point cela réclame des efforts, et à quel point un écrivain peut se sentir régulièrement saisi par un sentiment d’absurdité, face à l’énormité de la tâche qui se présente à lui, et l’extrême lenteur de sa progression.

Je me souviens qu’une fois, en travaillant sur une scène toute simple où une jeune fille a un accident de vélo suivi d’une conversation, j’avais pris conscience qu’au rythme où je travaillais, cela signifiait que cette pauvre demoiselle venait de passer trois jours, assise sur un trottoir, en attendant que je passe à la suite. L’échelle de temps de l’écriture n’a rien à voir avec celle de la lecture, et une scène qui ne dure qu’un instant et qui peut être lue en moins d’une minute pourra prendre des heures, voire des jours, avant d’être achevée. Par moment, écrire un roman, c’est un peu comme vouloir réduire un rocher en poudre avec une lime à ongle : pas impossible, mais enfin, ça réclame de la persévérance.

Bref, écrire un roman, c’est beaucoup de travail, comme pour un album d’Asterix. Chaque jour, il faut s’y remettre, même si on n’en a pas toujours une folle envie. Les progrès sont lents, parfois on fait machine arrière, et quand on a terminé le premier jet, tout recommence depuis le début, souvent à plusieurs reprises. Oui, de temps en temps, c’est ingrat.

Cette notion de travail est importante. Oui, tout le monde peut écrire un peu n’importe quoi et se proclamer romancier une fois passé le cap des 50’000 mots, mais vous, vous savez qu’être auteur, ça va au-delà de ça. Être auteur, c’est tâcher d’écrire le meilleur roman possible. C’est tenter de s’améliorer constamment. C’est lutter contre les lieux communs et les facilités, contre les clichés et les stéréotypes. C’est rechercher la nuance en toute chose. C’est partir en quête de votre singularité. C’est, parfois, vous faire violence jusqu’à ce que vous trouviez l’idée qui fonctionne, la phrase qui tombe pile, le mot juste.

Il faut songer à se rappeler du plaisir d’être auteur

En deux mots, n’en doutons pas, il faut bosser pour être écrivain. Et encore, là, je ne parle que du processus d’écriture en lui-même et pas tout ce qui l’entoure : promotion, salons et compagnie. Et pour les auto-édités, certaines des haies qu’il faut franchir sont encore plus hautes et plus nombreuses.

Seulement, en parallèle à cette notion de travail, il faut songer à se rappeler du plaisir d’être auteur. Tout simplement, la plupart de celles et ceux qui choisissent d’écrire le font parce que ça leur plaît. Dans certains cas, on trouve des individus qui écrivent parce qu’ils en ressentent le besoin, ou pour exorciser quelque chose, dans un but thérapeutique, mais enfin ça reste malgré tout une activité qui procure une certaine forme de satisfaction à celle ou celui qui la pratique. Personne ne braque un pistolet sur la tempe de l’auteur pour le forcer à pondre du texte, il le fait de sa propre volonté, parce qu’il aime ça, tout simplement.

Et malgré tout, à écouter certains auteurs, on pourrait croire qu’écrire est une pénitence. Dans les communautés d’auteurs en ligne, on croise énormément d’âmes perdues qui prétendent vouloir écrire mais qui sont perpétuellement en quête de leur motivation. Chaque mot représente un effort, chaque phrase est rédigée au prix d’énormément de transpiration. Pour eux, l’écriture est souffrance, et on sent qu’ils préféreraient de loin chiller devant Netflix plutôt qu’aligner mots et paragraphes. D’ailleurs, la plupart du temps, c’est ce qu’ils font, et ça les fait culpabiliser, ce qui ne fait qu’ajouter à leur désarroi. Vertigineux tourment de l’être humain moderne.

Pour se pousser eux-mêmes à écrire, ces forçats du verbe s’inventent toute une série de petits rituels. Il y a ceux qui cherchent des encouragements auprès de leurs proches, de leur entourage en ligne, voire même auprès de parfaits inconnus sur les réseaux sociaux. Il y a ceux qui s’accordent des petites récompenses quand ils parviennent à se remettre à écrire. Il y en a qui se fixent des objectifs de productivité, par exemple d’écrire un certain nombre de mots par jour, ou d’achever un chapitre dans un temps donné. Et puis il y a tous ceux qui participent à des événements collectifs, comme le Nanowrimo, afin de s’inciter à pondre une grande quantité de texte en peu de temps.

Personne ne vous oblige à écrire

À chaque fois, cela donne l’impression que ces auteurs se comportent comme s’ils étaient les hackers de leur propre cerveau. Ils cherchent à se leurrer eux-mêmes, à faire usage de techniques de manipulation afin qu’ils parviennent à vaincre l’inertie et à reprendre la plume. Lorsque l’envie d’écrire n’est pas au rendez-vous, on tente différentes approches pour qu’elle revienne.

Il n’y a pas de mal à chercher à se motiver, bien sûr, et si pour vous, cela marche mieux quand ça prend une tournure un peu ludique, pourquoi pas ? Cela dit, si les symptômes persistent et que vous passez votre temps à vous encourager vous-même avant d’écrire chaque mot, comme dans un marathon spécial troisième âge, peut-être est-ce le signe qu’il faut prendre un peu de recul et vous interroger sur ce que vous souhaitez vraiment.

Personne, on l’a dit, ne vous oblige à écrire. Si l’appel de votre écran large ou de votre console de jeu est irrésistible, c’est peut-être qu’après tout vous préférez regarder des séries ou jouer aux jeux vidéo plutôt qu’écrire. Il n’y a pas de mal à ça. Écrire, c’est quelque chose qui réclame des efforts, un engagement sur la durée, et qui offre peu de gratification à court terme. Ce n’est pas pour tous les goûts, et personne ne pourrait vous reprocher de réaliser que finalement, ça n’est pas votre manière préférée d’occuper votre temps.

Si, par contre, vous avez le feu sacré, que rien ne vous comble autant que la littérature, dans ce cas, cessez de voir l’écriture comme un effort auquel vous devez vous astreindre et commencer à la voir comme un plaisir que vous vous réjouissez de retrouver. Après tout, être capable d’extérioriser sa créativité, c’est une chance immense, qui mérite qu’on s’y consacre avec passion et dans la continuité. Oui, ça peut représenter beaucoup de travail, mais c’est un travail gratifiant, qui vous grandit et dont vous pourrez savourer les fruits pendant des années.

⏩ La semaine prochaine: Éléments de décor – le crime

20 réflexions sur “Apprends à travailler

  1. Très intéressant, ton article, mais j’apporterais cependant une nuance. Je fais partie de ceux pour qui écrire est essentiel, vital, mais aussi de ceux qui traîne parfois les pieds pour me planter devant le clavier, préférant d’autres activités. Une procrastination qui peut parfois s’étirer sur de longues périodes.
    J’ai fini par mettre le doigt sur le pourquoi de ces déconnections à mes fichiers (les récits, eux, hantent toujours un coin de mon cerveau ^^). J’ai fini par trouver 2 raisons :
    – ces périodes où je regarde des films/séries, joue, lis etc me sont essentielles aussi. J’ai remarqué que souvent, ma créativité en tirait bien des bénéfices. Découvrir d’autres oeuvres nourrit mon terreau imaginatif et parfois même débloquait un obstacle dans mon texte qui pourtant n’avait rien à voir 🙂
    – comme tu le dis très bien, écrire, c’est du boulot. Or, j’ai un autre boulot. Et c’est là que, dans mon cas, le bats blesse… Quand je rentre crevée de ma journée, me dire que je dois me coller à un autre boulot, c’est difficile. Et n’avancer que les weekend (où je bosse aussi parfois sur mon autre boulot), c’est frustrant. Bref, c’est sur ce point là que je peine à trouver un équilibre. Je cherche encore une solution satisfaisante et, en voyant le titre de ton article, j’ai cru que je l’y trouverai ^^ »
    Mais tu fais bien de rappeler cette notion d’effort, trop souvent oublié.

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    • Merci de ton témoignage. Je pense qu’il faut lire mon billet à la lumière de ma situation personnelle, forcément subjective: j’ai trois enfants en bas âge, je travaille à 100%, et je parviens à dégager une demi-heure par jour pour écrire, ce qui constitue un de mes seuls loisirs. Alors c’est vrai que quand je lis les réactions d’écrivains qui disent à quel point ils ont du mal à se motiver à prendre la plume et qui passent leurs soirées collés à Netflix, ça me fait gentiment ricaner 😉

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      • En effet, ce n’est pas en regardant Netflix tous les soirs que les textes vont s’écrire ^^ » Oui, il est normal de s’appuyer sur son expérience, merci pour tes précisions ! De mon côté, mon quota est hebdomadaire (2h/semaine, je n’y arrive pas toujours mais j’y tends), ça convient mieux à mon planning aléatoire.

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  2. Whaou, Joli retour, Julien ! Très bel article qui fera sans doute écho dans l’âme de chaque écrivain•e.

    J’ai commencé à écrire un journal, comme un cahier de bord pour me rendre compte de l’avancée de la réécriture de mon roman, noter les idées à rajouter à mesure qu’elles me viennent et prendre du recul sur le travail réalisé, et je trouve ça très instructif. Quand je me relis, je constate beaucoup de frustration (cette phrase parfaite qui se refuse à toi, ces mots justes que tu cherches obstinément que tu évoques dans ton article), mais surtout, beaucoup de plaisir. Quelle effervescence de l’esprit suscite l’écriture ! J’en suis accro. Au point parfois de trouver la réalité longue et pénible et d’avoir hâte d’aller retrouver mon tapuscrit !

    J’ai hâte de lire ton article sur le crime.

    Chris

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  3. Merci pour cet article ! J’avoue faire partie de cette catégorie de gens qui doivent se « forcer » à écrire. Mais ça ne veut pas dire qu’écrire n’est pas un plaisir pour moi. Simplement, tous les cerveaux ne fonctionnent pas de la même manière. Certains enregistrent priorité les mauvaises expériences, d’autres les bonnes, certains voient les gratifications à court terme, d’autres à long terme, etc. Dans mon cas, c’est l’idée qu’écrire peut être difficile qui prend le pas sur le plaisir que je pourrai y trouver, et donc il faut que je me « force » à démarrer. Une fois que je suis lancée, ce n’est plus un problème. Donc effectivement, NaNoWriMo par exemple m’aide à maintenir une discipline et un rythme régulier. Mais je pense que tu as raison, c’est dangereux de laisser l’aspect « discipline » prendre le pas et oublier que c’est avant tout un plaisir. Il faut trouver un équilibre^^.

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    • C’est vrai que nous avons tous notre manière de fonctionner et merci pour ton témoignage.

      Mon point de vue c’est que l’écriture (comme le sport par exemple), a des côtés agréables comme des aspects déplaisants. Ça fait partie du truc et celles et ceux qui en souffrent trop pourraient être bien inspirés de songer à opter pour une occupation moins douloureuse.

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  4. Bonjour,
    Je fais partie de ceux qui écrivent, en plus d’un travail à temps complet et d’une vie de famille. Souvent le soir et le week-end. Souvent au lieu de regarder la télé, ou Netflix. Parfois au lieu de lire.
    Je suis auteur de 2 (bientôt 3) romans publiés. Et je trouve votre article très intéressant. Il fait écho à des questions que je me suis posée moi-même face aux NanoWrino, ou aux gens qui se lancent dans l’écriture avec pour seul objectif d’atteindre un certain nombre de mots, plutôt (parfois) que de se fixer pour objectif de raconter une histoire.
    Je lis souvent des choses comme : « ça y est je commence mon roman. Objectif : 100 000 signes d’ici 3 mois ». Ou bien « j’ai bien avancé sur mon roman, j’ai écrit 50 pages en 2 semaines ». Je ne comprends pas cette façon d’entrer en littérature.
    Écrire, ce n’est pas compter. Ni son temps, ni sa peine, ni son plaisir… ni ses mots.

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  9. Encore une fois les mots de Hiera me touchent personnellement, le démon Prokrass est puissant…
    Le point de vue de Lullaby me parle aussi. Concilier vie pro, vie de famille, vie sociale et écriture c’est chaud. Surtout quand pour se nourrir l’imaginaire des digressions devant Balle Perdue sur Netflix, dans les bouquins des autres ou encore sur ton blog sont nécessaires aussi…

    Cependant tu as raison de dire que si ça reste une souffrance permanente c’est qu’il y a une erreur de casting. Je persiste et je m’impose des contraintes parce qu’une fois lancé j’ai du mal à m’arrêter, et si j’ai du mal à arrêter c’est parce que j’aime ça. Hiera comprend peut-être ce que je veux dire…

    Ceci dit c’est comme avec le sport en effet.
    Autant on peut comprendre que ça soit dur de chausser ses running quand il fait 3°C et qu’il pleut des cordes, autant si on préfère éplucher la presse à scandale au lieu d’aller courir quand il fait beau et qu’on a 30 minutes devant soi il faut (à minima) changer de sport…

    Pour moi la fatigue se surmonte (partiellement) Et puisque écrire c’est réduire un menhir en poudre à la lime à ongle (Non Panoramix pas de potion magique, merci, je suis contre le dopage) on sait très bien qu’on devra prendre son temps. Inutile de se coller la pression.
    J’ai horreur de compter moi aussi, mais si on a une heure/semaine devant soi, autant la mettre à profit. Ce n’est pas rien. Sur une année, une heure par semaine c’est une semaine et demi de taf à plein temps!

    J’ai aussi remarqué autre chose au fil des séances.
    Je suis toujours un « écriveur diesel », incapable de démarrer sans préchauffage, mais à force d’écrire le moteur se rode. A chaque séance j’écris plus, de moins en moins mal et en consommant moins de caféine.
    Le tout étant de ne jamais se nourrir de « netflixeries » et de bouquins trop longtemps sans rien produire. Pas nécessairement d’objectif précis, hein, « écrire ce n’est pas compter  » (comme dit Cécile) mais s’y mettre et avancer de quelques pas sur un projet d’écriture quelconque de façon régulière c’est indispensable.

    Sinon on régresse.

    Moi je participe à des concours de nouvelles quand je dois faire une pause sur le roman, ou quand j’ai besoin de relancer la machine.
    On on ne ricane pas Julien je te prie!
    On a tous nos défauts. Il faut les combattre comme on peut.
    Ludifier ce n’est pas se fourvoyer tant qu’on apprécie intrinsèquement d’écrire une fois lancé.
    Oui ludifier c’est un peut pousser sur le Solex pour qu’il démarre je te le concède. Ca ne vaut pas le démarreur électrique d’un scooter dernier cri, j’en conviens.
    Mais nous somme tous différents, tant que notre moteur tourne rond et qu’il y a de l’essence* dans le réservoir ça vaut le coup de pousser un peu au démarrage!

    *Mélange 2 temps: Bouquins + Netflix(2%)

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