Le piège du pastiche

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Certains auteurs ont été motivés à prendre la plume par amour pour un livre ou un écrivain. Je l’ai mentionné dans mon billet sur les « Quatre espèces d’auteurs », mais cela mérite qu’on s’y attarde davantage, parce que c’est enthousiasmant.

Cela signifie que certaines personnes qui écrivent aujourd’hui ne l’auraient pas fait si elles n’avaient pas trouvé sur leur route une œuvre qui leur a procuré tellement de joie, a fait naître en eux tellement d’idées, a semé les graines de tellement d’appétits que l’envie d’écrire elles-mêmes en est devenue irrésistible. Des romans n’existeraient pas sans d’autres romans. En ce qui me concerne, l’idée que la littérature puisse ainsi être une douce contagion est extraordinaire.

Cela ne veut pas dire que cette situation ne risque pas de présenter certains écueils. Peut-être vous êtes-vous vous-mêmes trouvés dans cette situation, d’ailleurs : vous êtes transportés par une œuvre littéraire (ou même un film, une bande dessinée, une série télévisée, un jeu vidéo), à un tel point qu’une envie irrésistible d’écrire à votre tour vous transporte. Là, trois situations peuvent se présenter.

Certains choisissent d’écrire de la fan fiction, c’est-à-dire de prolonger de leur plume l’univers littéraire inventé par quelqu’un d’autre. C’est en effet une très bonne manière de satisfaire cette pulsion d’écrire, ainsi qu’une bonne manière de se mettre le pied à l’étrier pour celles et ceux qui n’ont pas beaucoup d’expérience. Une deuxième catégorie concerne les autrices et auteurs qui s’embarquent immédiatement dans un projet personnel et original, sans relation avec une autre œuvre, et on ne peut que leur tirer notre chapeau. Le troisième cas est plus problématique : il concerne ceux qui sont tellement emballés par un bouquin qu’ils ont envie de réécrire le même, mais avec leur nom sur la couverture.

Ce genre de livre ne va intéresser personne

Si c’est votre cas, je ne peux que vous décourager de le faire. Comme des millions de personnes, vous avez adoré les Chroniques des Vampires d’Anne Rice, à un tel point que vous vous précipitez sur le clavier pour écrire une œuvre qui lui ressemble étrangement. Vous vous mettez à raconter l’histoire d’une société secrète de vampires, mélancoliques et sophistiqués, et en particulier d’un individu charismatique, que vous appelez Mestat, Restat ou Nestat. Au passage, vous vous permettez quelques déviations qui vous semblent intéressantes, comme par exemple le fait que l’histoire se passe à Baton Rouge plutôt qu’à la Nouvelle-Orléans, et que vos vampires à vous écrivent leur nom « vampyres » avec un « y », gage de distinction.

Autant vous le dire : ce genre de livre ne va intéresser personne. Mais d’ailleurs, intéresser quelqu’un, ce n’est pas nécessairement votre objectif. Peut-être écrivez-vous exclusivement pour votre plaisir personnel, indépendamment de toute référence, sans penser ne serait-ce qu’une seconde à des lecteurs potentiels, et, au fond, pourquoi pas ? Mais écrire un roman réclame une telle masse de travail que ne même pas chercher à le faire lire à un autre être humain me paraît être un beau gâchis. Donc je vous en conjure, réfléchissez-y à deux fois, et envisagez les choses de la perspective d’un lecteur.

Ce que vous avez commis sur le papier s’appelle un pastiche. Dans votre enthousiasme pour ce livre qui vous a tellement plu, vous vous en êtes si peu éloigné que le style, les personnages, les thèmes, les éléments constitutifs du décor rappellent de manière criante l’œuvre originale, et toute personne un brin familière avec celle-ci va s’en rendre compte instantanément. Votre « Barry Hopper à l’Académie des Magiciens » est sans doute très cher à votre cœur, et vous en êtes légitimement fier, mais vu de l’extérieur, il ne s’agit que d’une copie d’un roman bien plus prestigieux.

Les lecteurs vont presque toujours préférer l’original à la copie

Cela ne signifie pas qu’il vous faille obligatoirement être original. Les romans originaux ne sont ni meilleurs, ni pires que ceux qui ne le sont pas. Pour un lecteur pour qui la présence de concepts originaux dans un texte est indispensable (c’est mon cas), il y en a un, deux, trois autres qui ne s’en soucient pas, et au moins encore un qui est activement rebuté par les idées qui ne lui sont pas familières, et pour qui un roman de fantasy où il n’y a pas d’elfes et de nains, ça n’est pas un vrai roman de fantasy. Un livre peut se distinguer de nombreuses manières : une intrigue bien charpentée, des personnages mémorables, un style attachant, et l’originalité n’en est qu’une parmi d’autres. Cela dit, signer une œuvre qui ne cherche pas particulièrement à se démarquer de ce qui existe déjà, c’est une chose, écrire un pastiche, délibérément ou non, c’en est une autre.

Le souci, c’est que les lecteurs ne sont pas idiots : ils vont presque toujours préférer l’original à la copie. S’il n’y a rien ou presque rien dans votre roman qui le distingue de celui qui vous a inspiré, c’est que vous n’avez pas grand-chose à offrir à vos lecteurs, qui vont probablement se demander pourquoi vous avez consacré autant d’efforts à réécrire quelque chose que tout le monde connaît.

Comment, alors, déjouer le piège du pastiche ? Comment, sans rien sacrifier de ce qui vous a donné au départ l’envie d’écrire, pouvez-vous produire une œuvre, pas obligatoirement originale, mais au moins suffisamment singulière pour qu’elle n’apparaisse pas comme une simple décalque ?

Une solution: la technique des deux pas

Il existe une solution simple, que j’appelle la « technique des deux pas. » Pour l’expliquer, mettons-nous en situation : vous êtes inspiré à écrire par les histoires de vampires d’Anne Rice, mais vous préférez éviter de signer un simple pastiche. Dans ce cas, c’est simple : vous partez de l’œuvre de départ, et vous y opérez deux changements majeurs (changer l’orthographe du mot « vampire » ne suffit pas). Par exemple, vous pouvez vous lancer dans une réécriture des Chroniques des Vampires, mais sous la forme d’une romance, et en y ajoutant des loups-garous. Félicitations, vous venez d’écrire « Twilight. » Ou alors, vous décidez que votre protagoniste vampire à vous est une mère célibataire, et que l’histoire se passe à Abidjan. Ou que vos vampires boivent des idées plutôt que du sang, et que l’action se déroule au 17e siècle.

S’éloigner de deux pas du concept qui vous a séduit, c’est une bonne manière de conserver ce qui vous a plu, mais en y apportant la fraîcheur nécessaire pour justifier vos efforts d’écriture. L’appliquer vous mènera à un résultat beaucoup plus satisfaisant pour vous et pour vos lecteurs, sans briser votre élan initial.

D’ailleurs, la technique des deux pas fonctionne pour tous les auteurs, dès qu’ils réalisent qu’un élément de leur roman, un personnage, un lieu, une situation, est trop proche d’un modèle connu, ou bascule dans le cliché. Oui, vous pouvez écrire un roman noir qui met en scène un détective paumé, amateur de whisky, de chapeaux mous et d’imperméables. Mais avant de le faire, demandez-vous si votre protagoniste ne serait pas plus mémorable s’il était bègue et qu’il habitait chez sa mère. Bien sûr, rien ne s’oppose à ce que vous rédigiez un roman dystopique où des jeunes gens sont poussés à s’entretuer par un gouvernement cynique, mais réfléchissez-donc une minute et éloignez-vous de deux pas de ce décor très convenu, pour lui préférer une histoire où des adultes sont poussés à s’entretuer par un gouvernement d’enfants, et où l’action se déroule dans une ceinture d’astéroïdes.

La technique des deux pas constitue non seulement un remède aux pastiches, mais également un moyen simple de générer des idées qui vont rendre vos romans uniques.

12 réflexions sur “Le piège du pastiche

  1. Belle idée, celle des deux pas. j’y songerais, en ajoutant encore un petit tortillement de talon.
    Pour le pastiche, je suis plus ambivalent ; pasticheur fictif de saga (je mets saga pour faire bref), Ossian est plus lisible (au 19e siècle, en tout cas, parce qu’aujourd’hui, punaise…) que les sagas authentique, car il a à la fois le gout de la saga et la teinte romantique qui va bien : d’où un superbe succès d’édition.
    Mais c’est vrai que pour tenter « Henri le potier au centre de formation des prestidigitateurs », il vaut mieux laisser passer encore quelques siècles…

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    • Ce qui manque dans mon article, parce que ce n’est pas le propos, c’est le pastiche délibéré, le pastiche qui vient jouer avec l’œuvre originale pour l’enrichir par son audacieuse relecture. Au fond, il n’y a que le pastiche fortuit qui soit à déconseiller.

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  2. Alors… Oui pour l’efficacité de ta méthode (brillante) si le but est de s’inspirer d’une œuvre sans la copier. Mais du coup il n’est pas certain *du tout* que l’histoire continue de nous plaire en tant qu’auteur, et la motivation initiale (« j’écris parce que j’ai adoré cette histoire ») risque de s’envoler.
    Une autre piste est de décortiquer l’œuvre qui nous a tant motivé pour trouver dans son ADN ce qui nous a *vraiment* touché… et de réutiliser cet ADN. On peut avoir adoré Harry Potter pour plein de raisons : la construction en années scolaires ? La magie déclinée des clichés de sorcellerie ? Le trope du monde fantastique caché dans le monde réel ? Qu’est-ce qui vous a *vraiment* secoué et qu’est-ce que vous pouvez changer ? Un bon moyen de garder sa motivation intacte, sans réécrire la même histoire.
    (En tout cas ton conseil des DEUX pas est très pertinent : changer un seul truc a peu de chances de suffire).

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    • Merci de ton commentaire. Comme toujours, tu fais preuve de discernement analytique, alors que mon approche est plutôt du domaine de la prestidigitation. 🧙‍♂️
      En fait, la méthode que je propose ici est principalement conseillée à celles et ceux qui n’auraient pas le recul ou la capacité d’analyse suffisante pour suivre ton conseil. Et oui, naturellement, s’ils souhaitent conserver leur impulsion de départ, il faut qu’ils fassent deux pas qui leur plaisent également, sinon ils ne vont pas y trouver leur compte !

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