Récemment, sur ce blog, je me suis prêté à un petit exercice, en vous suggérant d’y participer avec moi. J’ai publié une petite nouvelle sur laquelle je travaillais, dans le but d’apprendre à écrire des textes d’épouvante, et en demandant un maximum de retours francs et constructifs.
J’ai été gâté: vous avez été nombreuses et nombreux à me faire part de vos commentaires, par tous les moyens imaginables, de la section commentaires au mail en passant par la messagerie de mon compte Twitter. Les retours reçus ont été précieux et m’ont permis de rédiger une seconde version de la nouvelle, que je trouve bien meilleure. Merci infiniment à vous, si vous avez pris le temps de me faire part de vos remarques. Au passage, vous allez le découvrir, ce dialogue a même engendré un texte supplémentaire.
Comme la raison d’être de ce blog est de progresser ensemble dans le domaine de l’écriture, je vous propose d’en profiter, et d’ausculter ensemble les défauts du texte initial, de partager les remarques qui m’ont été transmises, et de vous expliquer de quelle manière j’en ai tenu compte.
Pour rappel, le texte initial est ici : 👻Nouvelle La dame penchée
La nouvelle version se trouve en bas de ce texte. Avant de la découvrir, voici, par groupes, les remarques qui m’ont été adressées:
La cohérence de l’univers
Je n’ai pas réussi à communiquer de manière convaincante le plan de la maison dans laquelle se déroule toute l’action de la maison. Certains ont pensé qu’il y avait un rez-de-chaussée, un sous-sol, et deux étages, alors que mon intention était de décrire une maison à un seul étage. J’ai donc réécrit certains passages pour que ça soit plus clair.
Dans le même ordre d’idée, plusieurs relecteurs ont paru s’imaginer une cage d’escalier fermée, alors que j’avais en tête un escalier moderne, avec des vides entre les marches plutôt que des contremarches, et des rampes ajourée, ce qui laisse un peu de place pour observer le rez-de-chaussée de certains angles. Là aussi, j’ai amendé le texte en conséquence.
Une remarque qui montre que j’ai été relu attentivement concerne l’aspirateur. Dans le texte initial, Papa mandate Hugo pour aller chercher l’aspirateur au sous-sol. Un lecteur m’a fait remarquer qu’un objet utilisé aussi fréquemment ne serait probablement pas rangé dans un réduit au fond de la cave. Cela m’a poussé à chercher une solution de rechange, et c’est désormais une cireuse à parquet qui fait l’objet de la mission. Chaque détail peut faire ou défaire la cohérence d’un univers pour un lecteur.
De même, j’ai reçu des remarques sur la petite porte en hêtre. Je l’ai décrite ainsi au nom d’un vieux réflexe de meneur de jeu de rôle, en vertu duquel, lorsqu’on décrit de manière trop précise un objet banal, cela attire la suspicion des joueurs (et donc, ici, je l’espérais, des lecteurs). C’est louable, sauf que les adolescents de treize ans sont rarement des spécialistes des essences de bois de construction, et ne savent pas reconnaître le hêtre. J’ai donc opté pour un détail d’un tout autre genre, en lien avec la remarque suivante.
La nouvelle est ponctuée de quelques mentions indirectes de la personne manquante de la famille: la mère. A-t-elle un lien avec la dame penchée, semble demander la nouvelle? En fait, certains lecteurs sont complètement passés à côté, et d’autres ont jugé que ces mentions restaient trop discrètes. Ce dosage est assez difficile à réaliser. J’ai donc ajouté une mention supplémentaire, qui attire davantage l’attention sur elle, sans trop fournir de réponses, et elle est justement liée à cette fameuse petite porte. Je vais vous laisser la découvrir.
La narration
La focalisation du texte (écrit à la seconde personne focalisée), était imparfaite. J’ai donc modifié certains passages pour ne conserver que le point de vue d’Hugo, pour que cela soit plus propre et plus efficace.
On m’a suggéré d’écrire le texte au présent, mais j’ai jugé qu’en plus d’être techniquement plus difficile à rédiger, une telle nouvelle aurait perdu en force évocatoire, les récits au présent ayant selon moi un peu plus de peine à se projeter vers l’avenir et donc à établir du suspense.
La question des enjeux a travaillé plusieurs lectrices et lecteurs, et moi aussi, du coup. En général, la théorie l’affirme et la pratique de l’écriture me l’a confirmé à plusieurs reprises, un texte est meilleur, plus poignant, plus haletant, si les enjeux sont extrêmement clairs (pour le dire simplement: si on comprend ce que le protagoniste a à perdre en cas d’échec). L’ennui d’un texte d’horreur, c’est qu’un des ressorts qui crée la peur, c’est le fait de ne pas savoir, de laisser le lecteur dans l’ombre, de semer des points d’interrogation et de laisser son imagination y répondre par les pires hypothèses possibles. Ces deux impératifs entrent parfois en conflit. J’en ai donc déduit – et un jour j’écrirai un texte plus complet sur le sujet – que dans le genre de l’horreur, on ne s’appuie pas toujours sur des enjeux clairs et palpables, mais souvent sur des enjeux imaginés, des craintes, des scénarios échafaudés par les personnages. Cela permet d’établir la tension nécessaire au bon déroulement du récit, sans dissiper l’ambiguïté propre au genre. Dans la nouvelle version de l’histoire, j’indique ainsi plus clairement ce que risque Hugo, sans me montrer trop explicite pour autant.
Il y a plusieurs passages descriptifs dans le texte, notamment lorsque l’action se déplace dans le sous-sol, où je dresse des listes d’objets. Je pensais que cela créerait de l’anticipation, mais cela a plutôt ennuyé mes lecteurs. J’ai donc raccourci ces passages, et je les ai entrecoupés d’observations émotionnelles, qui montrent ce que cet environnement inspire comme crainte au jeune protagoniste.
Mon intention était d’écrire une tranche de vie, un jour ordinaire dans cette famille pas ordinaire, en laissant le lecteur avec cette pensée: « N’est-ce pas horrible de vivre dans une maison où l’on cohabite avec la dame penchée? Que va-t-il se passer la prochaine fois? » Mes lecteurs ont trouvé ça pas horrible du tout, ils ont trouvé ça ennuyant et frustrant. Après tout, une histoire où rien ne se passe, ça n’est pas une histoire, en tout cas dans la tradition littéraire occidentale, et la nouvelle fin est donc radicalement différente.
Le genre
Deux lecteurs se sont étonnés, lorsque j’ai laissé entendre que j’allais m’essayer à l’horreur, que le résultat ne soit pas violent, sanguinolent, voire gore. C’est une remarque que j’ai laissée entre parenthèses, parce que je suis fermement convaincu qu’on ne peut effrayer les lecteurs qu’avec ce qui nous effraye nous-mêmes. Moi, les tripes et les boyaux, les dangers physiques, ça ne me touche pas du tout, et ce n’est absolument pas le genre d’éléments que je souhaite explorer. En ce qui me concerne, l’idée qu’un intrus puisse vivre chez moi, et qui plus est, un intrus dont la nature est mystérieuse et sur lequel je n’ai apparemment aucun pouvoir, me glace de terreur. Les cauchemars sur les fantômes étaient récurrents à l’époque trouble où j’étais en psychothérapie, et ça a laissé des traces dans mes inclinations littéraires. C’est donc le genre de trucs que j’écris, et c’est aussi dans cette veine-là que se situe mon projet de roman, et même si je comprend que ça ne touche pas tout le monde, je n’y peux rien, si ce n’est d’écrire au mieux de mes capacités. J’ai toujours été convaincu que l’horreur est, aux côtés de l’humour et de la pornographie, un des trois genres objectifs: ça fonctionne sur nous ou pas, quelle que soient les qualités littéraires du texte.
Comme les protagonistes sont des adolescents, on m’a également suggéré à plusieurs reprises que ce texte devait se destiner aux jeunes lecteurs, impression renforcée par le fait que ça ne faisait pas très peur et que le niveau d’hémoglobine était extrêmement bas. Là, je pense que la tradition de l’horreur est riche de nombreux personnages mineurs, et que le fait de recourir à des personnages vulnérables est un ressort classique. Cela ne présuppose aucun lectorat particulier, selon moi. Bien sûr, ça n’excuse en rien le fait que le résultat évoque l’ennui plus que la trouille.
Le résultat
En remerciant une fois encore toutes les personnes qui ont participé à cette expérience, et au vu des remarques ci-dessus, je vous propose donc de lire la version remaniée et améliorée de ma nouvelle « La dame penchée ». J’espère que vous y trouverez du plaisir:
Qu’avons-nous appris ? Qu’un écrivain, en particulier un écrivain débutant, ou qui s’essaye à quelque chose de nouveau, a tout intérêt à solliciter des avis extérieurs et à en tenir compte, avec humilité et dans un esprit constructif. Les remarques des lecteurs attentifs, en particulier quand elles sont convergentes, tombent rarement de nulle part. Prenons-en compte, améliorons nos textes, et améliorons-nous au passage. Quoi de plus exaltant ?
Pars pas, c’est pas fini
Oui mais attends, il y a encore quelque chose. Pendant le processus de relecture, SylVie, dans les commentaires, a suggéré qu’il serait intéressant de réécrire la nouvelle de la perspective de la dame penchée. Croyez-le ou non, le brillantissime carnetsparesseux l’a prise au mot, et c’est exactement ce qu’il a fait dans ce texte que j’ai énormément de plaisir de partager avec vous:
Salut Julien,
Oui ça fonctionne beaucoup mieux. J’ai presque retenu ma respiration mais je connaissais déjà la chute.
Je suis étonnée de ce que tu dis à propos d’écrire au présent. Ca ne permettrait pas de se projeter dans l’avenir. Il me semble au contraire que ce qui est écrit au passé appartient déjà à la légende, c’est donc figé. Du coup, pas d’avenir, ce serait plutôt dans ce cas.
Quant au présent, c’est une façon efficace d’impliquer le lecteur et de le plonger dans l’action. Ce qu’on fait naturellement lorsqu’on raconte une anecdote.
Il faut que je te raconte la dernière. Ce matin, j’étais sur la plage, je baladais mon chien. Et devine qui je vois arriver ? Maxime ! Je le vois, il me voit… il vient droit sur moi. Moi, je n’en mène pas large…
On est naturellement passé du… passé au présent, on revit l’anecdote en même temps qu’on la raconte, et l’interlocuteur aussi.
C’est là que je trouve ça intéressant pour une nouvelle d’horreur, car le lecteur est vraiment avec le personnage. Je dirais que pour moi, ça correspond à un gros plan au cinéma.
Merci pour le lien vers mon blog, c’est très aimable de ta part.
Tu persévères dans l’horreur ou tu explores un autre genre la prochaine fois ?
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Merci beaucoup pour tes retours, et pour avoir donné à carnetsparesseux l’impulsion de rédiger son histoire !
En ce qui concerne la suite, je me lance dans un chantier au long cours pour, peut-être, aboutir à un roman d’horreur. Par contre, peut-être que j’écrirai d’autres trucs d’ici-là, rien n’est vraiment prévu.
Pour revenir sur le temps de la narration, merci pour ton intervention. J’étais sur le point de t’infliger une longue tartine, mais si le sujet t’intéresse, mon point de vue sur la question est idéalement exprimé par Stéphane Arnier dans ce billet : https://stephanearnier.com/2016/02/29/choisir-son-temps-de-narration/
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Merci pour ta réponse. Je connais bien sûr le blog de Stéphane Arnier ! Une mine, et une bonne. Il se trouve que le temps de la narration est le seul sujet (ou presque) où je ne suis pas d’accord avec lui. Je suis plutôt de l’école « ateliers d’écriture » (cf Alain André – Aleph écriture). Je recherche le passage dans le bible d’Alain André, et je me rend compte que j’ai employé ses mots même, il faut croire que cette lecture m’a marquée, que j’y ai trouvé du sens :
« (Jean) Echenoz, en digne fils de son époque, compare le système verbal du roman à la boite de vitesses d’une voiture. Filons la métaphore :
Point mort : le présent. Passer du présent au passé, c’est comme passer du sommeil à la veille, on entre dans la légende. Inversement, dans un récit au passé, le passage au présent rend plus intense, procure une impression de gros plan. Pour l’alternance, à l’intérieur d’un même paragraphe ou d’une même phrase, elle signale plutôt un moment de sacré remue-ménage. (… métaphore boite de vitesses avec tous les temps du récit).
Echenoz à beaucoup étudié les techniques cinématographiques pour les adapter au roman, il est selon moi LA référence dans ce domaine. Si la question t’intéresse, il faut lire au moins « Je m’en vais » et « Nous trois ».
Je suis toujours ravie de voir que la fiction fait débat et qu’il n’y a pas qu’une seule façon d’envisager la langue. Tout ça est bien vivant.
Au plaisir de te lire.
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Merci beaucoup pour ces références !
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Je relis l’article de Stéphane, ça ne fait jamais de mal. En fait, ce qu’il dit n’est pas très différent de ce que je dis. Avec le distinguo entre nouvelle et roman.
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J’y pense, j’y repense, et puis j’y pense encore… Quelque chose vient de me sauter à la figure. Le présent est le temps utilisé dans les livres pour enfants, en particulier pour les plus jeunes d’entre eux. Evidemment, le jeune enfant ne sait pas ce qu’est le passé. Il a la faculté de se plonger immédiatement dans l’histoire et d’éprouver des émotions fortes, et ce, même s’il l’a déjà entendue des dizaines de fois. Le présent est le temps des émotions fortes. Bon allez, j’arête…
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Oh non, tant que tu as des choses à dire, je suis preneur !
C’est un argument intéressant. Peut-être, cela dit, que dans le cas d’espèce, un enfant de treize ans qui vient vraisemblablement de subir un traumatisme familial aurait un sens de la temporalité assez développé.
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Les mouflets ont un sens de la temporalité aigu (avec ou sans traumatisme, heureusement). C’est son expression qui diffère de celle des adultes je crois. Nombre de contes qu’ils adorent sont écrits au passé simple ou imparfait, jamais composé (confère Hélène Merlin-Kajman et son excellent essai « Lire dans la gueule du loup »). Il semblerait que l’utilisation intempestive du présent soit une caractéristique assez désespérée d’adultes que nous sommes…
🙂
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Un grand merci pour cette référence !
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ah là, tu ajoutes une grosse louche de trouille pour le lecteur ! c’est diablement bien fichu (c’était déjà bien fichu dans la première version)… ce matin, j’avais plein d’arguments sur écrire au présent/au passé (pour une fois, pas d’accord avec Stéphane Arnier) mais ça c’est évaporé au fil de la journée (en revanche, l’impression de ta nouvelle ne s’est pas évaporée)
et bien sûr, les leçons d’écriture que propose ton retour d’expérience sont à méditer longuement…
signé le « brillantissime » Carnets paresseux 🙂 🙂
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Je te suggère d’ajouter ce qualificatif hautement mérité à tes cartes de visite et à ton profil Linkedin !
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en lettres dorées et clignotantes 🙂
pour l’emploi du présent ou du passé dans l’écriture, c’était une question qu’il s’était longtemps posé : fallait-il, fallait-il pas ? le futur, pourtant sensé attirer le lecteur vers l’avenir du récit, n’était pas, à l’usage, le tournepage rêvé : ils vivront heureux et progéniturerons nombreusement, bof. A l’inverse, explicitement, l’usage du passé dirait au lecteur qu’il déchiffrait une histoire achevée, à la fin déjà advenue longtemps avant même qu’il n’entamât sa lecture. C’était le temps des récits historiques (bien qu’ironiquement les livres d’histoire employassent plutôt, par convention et simplicité, le présent pour raconter les temps passés). Le présent était plus simple d’écriture et de lecture, et les péripéties accompagneraient ainsi le lecteur à mesure qu’il les découvrirait, lui donnait l’impression flatteuse sinon d’être le héros, du moins le témoin du héros. Mais, si c’était le temps des histoires enfantines, quel auteur oserait prendre le risque d’être classé dans le mauvais bac de libraire ? soit, le passé, donc. Mais au passé, comment dire le plus que passé ? comment flachebaquerait l’auteur ?
Ces histoires de temps, il y avait beaucoup songé, sans même pensé qu’un jour il ne s’en préoccuperait plus. Sauf, aujourd’hui, où le débat l’y ramène.
moralité : ça dépend 🙂
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Félicitations ! Maintenant, mes opinions à ce sujet sont devenues chancelantes, et ma tête est désormais pleine d’incertitudes. Seul réconfort à émerger de cette vague de remise en question stylistique: j’ai envie d’écrire une nouvelle à l’infinitif.
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c’est impératif !
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Heureusement, je suis juste lectrice.
🙂
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