Je thème… moi non plus

blog thème

Le thème est un des grands axes qui donnent son identité à un texte de fiction, raison pour laquelle il est intéressant de se pencher sur la question.

Quatre éléments principaux permettent en effet de caractériser un récit : le type de texte (est-ce un roman ? un poème ? Une nouvelle ?), le registre (est-ce comique ? satirique ? tragique ? burlesque ?), le genre (est-ce réaliste ? merveilleux ? horrifique ?) et donc le thème, qui nous intéresse plus particulièrement dans ce billet. A titre d’exemple, « Le Seigneur des Anneaux » de Tolkien est un roman d’aventure fantastique qui traite (entre autres) du thème de la corruption du pouvoir. Avec ces quatre axes de description, on a une bonne idée approximative de ce qui nous attend en tant que lecteur.

Un roman peut très bien avoir plusieurs thèmes

Le thème, c’est la réponse à la question « De quoi ça parle ? », une idée ou un élément central au développement de l’intrigue, et qui peut en général être résumé en un seul mot : l’amour, la solitude, l’ambition, la nostalgie, l’argent, le passage à l’âge adulte, la vengeance… Un roman peut très bien avoir plusieurs thèmes, même s’il est en général préférable de s’en tenir à un seul et de l’explorer jusqu’au bout.

Potentiellement, le thème colore tout le récit et oriente tous les choix de l’auteur. Il peut influencer l’intrigue, les personnages, le décor, les dialogues et tous les autres éléments du récit. Un roman qui traite du thème de l’argent pourra par exemple se situer dans les milieux bancaires, mettre en scène des personnages qui ont de l’argent ou qui n’en ont pas, qui en veulent toujours plus ou qui s’en passent, et explorer ainsi diverses facettes du sujet.

Dans d’autres cas, un auteur pourra choisir de ne traiter le thème qu’en filigrane, sans en faire une préoccupation de premier plan, mais en le gardant tout de même à l’esprit, en tant que point de référence du récit, pour lui donner de la couleur ou de la cohérence. Ainsi, en gardant à l’esprit que le roman policier qu’il est en train d’écrire traite du thème de l’ambition, un auteur opérera certains choix narratifs plutôt que d’autres, ce qui mènera bien souvent à un résultat plus harmonieux et mieux ficelé que si chaque décision avait été prise sans aucun point d’attache thématique.

Le thème peut rester invisible

Le lecteur n’a même pas besoin de s’apercevoir de tout ça : le thème peut rester invisible, sans affection ni grandes démonstrations, et ce n’est pas parce qu’un roman traite d’un thème qu’il doit nécessairement parvenir à une conclusion ou délivrer un message. Un thème n’est pas une morale. Il est possible et même souvent souhaitable de faire preuve de retenue et d’ambiguïté.

Dans la littérature de genre, et en particulier dans les littératures de l’imaginaire, il existe la tentation chez certains auteurs de ne pas s’embarrasser d’une réflexion sur le thème : l’évasion, l’aventure, se disent-ils, se suffisent à elles-mêmes, et il n’est pas nécessaire d’ajouter une thèse à un livre pour le rendre plus intéressant, c’est même parfois l’inverse.

Même si on peut être sensible à cet argument, se passer de thème est selon moi d’une fausse bonne idée. Déjà parce que l’aventure est un thème en soi ; par ailleurs, parce que le thème n’est pas nécessairement une thèse : il ne s’agit pas de quelque chose de complexe ou d’intellectuel, et il n’y a aucune raison que cela alourdisse le récit – au contraire, cela peut lui donner de la clarté ; en plus, parce qu’il est très probable qu’une histoire ait un thème, que l’auteur en soit conscient ou non – et s’il ne l’est pas, il risque de passer à côté de son sujet sans le faire exprès ; enfin, parce que le choix d’un thème peut aider à rendre un récit original et à le distinguer de la concurrence…

Sélectionner un thème qui semble être en porte-à-faux avec le registre ou le genre de l’œuvre peut générer un résultat étonnant

Ainsi, un auteur de littérature de genre serait bien inspiré d’aller puiser dans les thèmes qui semblent réservés à la « littérature blanche » : procéder de la sorte permet de produire une œuvre à la tonalité singulière, riche et rafraîchissante. Les romans de fantasy qui traitent de thème comme la guerre, l’honneur, l’amitié ou la lutte du bien contre le mal sont très nombreux ; pourquoi ne pas prendre le contrepied et tenter d’écrire une œuvre de fantasy qui s’attaque à des thèmes comme la vieillesse, la fidélité, l’éducation, la courtoisie ou l’angoisse de l’individu face à l’absurdité de l’existence ? (si vous tentez la chose, faites-moi signe : le résultat m’intéresse).

De manière générale d’ailleurs, sélectionner un thème qui semble être en porte-à-faux avec le registre ou le genre de l’œuvre peut générer un résultat étonnant et souvent intéressant. Les exemples ne manquent pas : ainsi, avec la série de films d’animation « Toy Story » on a affaire à des histoires qui se situent dans le registre de la comédie, et dont les thèmes sont le passage du temps, la solitude et la mort. Les frictions qui se produisent entre le traitement humoristique du récit et la gravité des thèmes traités donnent naissance à des films plus mémorables que ce que l’on pourrait suspecter de prime abord (d’ailleurs la qualité du traitement du thème est une des marques de fabrique des films Pixar).

En résumé, même si le thème peut sembler être superflu, c’est en réalité un élément indispensable, et bien souvent, un excellent point de départ pour un projet d’écriture.

Atelier : imaginez des combinaisons type/registre/genre/thème originales. Demandez-vous de quels thèmes traitent vos livres favoris ? Et si vous avez un projet de livre, quel est son thème ? En quoi le résultat serait-il différent si vous choisissiez d’en changer ?

27 réflexions sur “Je thème… moi non plus

  1. J’aime bien jouer sur les mots, aussi j’aurais tendance à dire qu’un thème ce n’est pas « de quoi ça parle », mais « qu’est-ce que ça dit ». En vérité c’est simplement ma façon de faire la différence entre l’histoire qui est racontée, et ce que le roman explore sur le plan thématique. Et je ne suis pas tout à fait d’accord non plus sur le principe de privilégier un seul thème, mais c’est sans doute parce que je pense en thème et non en genre : tu recommandes de penser le couple thème/genre pour engendrer un récit riche et étonnant, ce qui importe étant la rencontre et la dynamique du genre et du thème, et je pense cela dans la rencontre entre deux ou trois thèmes qui vont communiquer ensemble. On peut parler sans doute de thème et de sous-thème, l’essentiel c’est que ça se problématise.
    En tant que lectrice j’aime particulièrement le thème de la culpabilité, celui du pouvoir et de l’emprise, mais aussi celui de l’enfance et de l’identité. En tant qu’auteur, j’aborde le thème de la famille, ou plus exactement celui de la filiation et de la façon dont on y survit ou non, le thème du vrai et de la fiction également, autour du mensonge et du langage. Dans un autre projet je traite de sexualité et de relation amoureuse, avec finalement comme thème principal celui de la dévoration. Et comme je pense le thème avant de penser l’intrigue, si je changeais de thème ça ne serait pas le même roman.

    J’aime

    • Je comprends cette approche et je suis sûr que tu sais en tirer le meilleur. Pour moi, cela dit, vouloir marier plusieurs thèmes, c’est délicat. Déjà parce que, si l’on n’y prend garde, cela peut alourdir le récit et embrouiller le propos, mais aussi parce que traiter de deux ou trois thème en parallèle, c’est comme choisir deux ou trois couleurs principales pour un tableau: le mélange risque de virer au gris (en tout cas c’est valable en ce qui me concerne).

      Aimé par 1 personne

      • C’est intéressant ce que tu dis en comparant cela à un tableau, peut-être que je peux me le permettre aussi parce que j’ai un récit qui se trouve très structuré, sa division en trois points de vue et trois parties permet d’aborder différents sous-thèmes. Comme si j’avais un triptyque autour d’un même élément ou événement. Ce qui serait comme tu le dis plus confus dans un récit plus linéaire, qui tiendrait en une seule toile.

        Aimé par 1 personne

  2. Pingback: La quête du dépouillement | Le Fictiologue

  3. Pingback: La quête de la saturation | Le Fictiologue

  4. Pingback: Le premier jet | Le Fictiologue

  5. Pingback: Corrections: la checklist | Le Fictiologue

  6. Pingback: Les recherches | Le Fictiologue

  7. je ne suis pas fan de fantasy mais si les auteurs pouvaient éviter les thèmes comme le bien contre le mal de façon manichéenne ça serait bien! De même que je ne suis pas du tout une fan du thème de la « guerre » étant pacifiste et j’ai horreur du mot « honneur, dignité, digne » ça sous-entend que si on n’a pas ça on est un « lâche » ce que je trouve faux!
    Par contre les thèmes qui me parlent et que j’adore sont: les injustices, la justice, la vengeance, les disparitions, les passions, l’amitié, l’entrée des jeunes au monde du travail, trouver sa vocation, la famille, c’est ça en général comme thèmes qui me plait! Et je trouve plus ces thèmes dans les thrilers, polars et livres contemporains

    Aimé par 1 personne

      • euh si pour moi, car les thrillers et polars sont beaucoup moins manichéens et ps c’est la guerre que je déteste mais la vengeance surtout quand on a fait du mal à des personnes qu’on aime et que le coupable est impuni je comprends très bien la vengeance dont je pourrai aussi! Contrairement à la guerre dont l’individu est supprimé pour représenter la masse, le pays ça je déteste et dont les soldats doivent obéir sans remettre en cause le système et l’ordre, j’aime pas non plus voilà une des différences! En plus du côté manichéen de la guerre dont je trouve que c’est un peu une bagarre d’enfant avec le « c’est lui qui a commencé non c’est lui qui a commencé » etc on s’en fiche, arrêtez de vous battre c’est tout! Encore si ça parle de colonisation mais pour remettre en cause la colonisation ça, ça pourrait m’intéresser en parlant du racisme et en remettant en cause surtout les colons qui ont tué des indigènes juste parce qu’ils les trouvaient comme « inférieures », « comme des sauvages » = racisme alors que les indigènes n’avaient au départ rien fait au colons! Et les gens oublient ça: le racisme est une histoire de domination et non un camp vs un camp!

        J’aime

  8. Pingback: Éléments de décor : le genre | Le Fictiologue

  9. Pingback: Tous les articles | Le Fictiologue

  10. Je fais signe, alors 🙂
    > L’histoire est écrite par les vainqueurs. Que se passe-t-il si l’on confronte avec impartialité les points de vue dans une guerre de genre Fantasy : le Bien (pas) tout blanc contre le Mal (pas) tout noir ?

    Et merci pour tous ces articles passionnants.

    Aimé par 1 personne

    • Bien joué, et c’est sûr que ça peut être intéressant, mais en ce qui me concerne, la lutte du blanc foncé contre le noir clair, ça reste la guerre du bien contre le mal, même si l’on glisse un peu de gris entre le noir et le blanc.

      En écrivant ce billet, j’avais en tête quelque chose d’encore moins conventionnel: un livre sur un chevalier qui tente de préserver son mariage en pleine campagne pour trucider des dragons, le prêtre d’une divinité qui perd la foi, un vieux voleur de sortilèges qui suspecte qu’il n’est plus capable de continuer, mais qui tente tout de même un dernier larcin.

      Et merci beaucoup pour ce commentaire !

      J’aime

      • ^^ Bien sûr. Je comprends tout à fait. Je crois être dans ce fil, ou très proche.
        Et si on disait comme un agriculteur qui voit son champ piétiné par les forces du bien autant que par les forces du mal, avec des ordures et des gentils des deux côtés, ceux qui échangent poliment un coup de main contre une soupe de navets et ceux qui saoulent de se croire supérieurs à l’intérêt de la récolte ? En plus,il va pas tarder à pleuvoir. Faudrait rentrer le foin avant. Y a des volontaires ? Non, parce que, gagnant ou perdant, si demain on moissonne pas, y aura plus rien à manger. Moi, je dis ça…
        Bon, ce n’est pas tout à fait ce que j’avais prévu, mais votre article me donne l’envie de creuser un peu plus sur dans cette direction et mon sujet s’y colle très bien. Voilà donc, la raison du merci. De faire germer les idées là où c’est intéressant même si on n’est pas des jardiniers, bien sûr. :-P.
        (sifflote en partant, ses deux arrosoirs à la main)

        Aimé par 1 personne

  11. Pingback: Apprends qui tu es | Le Fictiologue

  12. Pingback: Apprends à écrire | Le Fictiologue

  13. Pingback: Écrire la bataille | Le Fictiologue

  14. Pingback: Guérilla | Le Fictiologue

  15. Pingback: Le piège de l’ego | Le Fictiologue

  16. Pingback: Le piège du mystère | Le Fictiologue

  17. Pingback: Le message | Le Fictiologue

  18. Pingback: Comment ne pas écrire une suite | Le Fictiologue

  19. Pingback: Le thème | Le Fictiologue

  20. « pourquoi ne pas prendre le contrepied et tenter d’écrire une œuvre de fantasy qui s’attaque à des thèmes comme la vieillesse, la fidélité, l’éducation, la courtoisie ou l’angoisse de l’individu face à l’absurdité de l’existence ? »
    ah, c’est malin, ça me tente ! (mais il y a un peu de ça dans Terry Pratchett, non ?)

    J’aime

Laisser un commentaire