Tout est prêt. Vous avez une idée pour votre roman, vous avez réfléchi à un thème, vous avez échafaudé une structure, construit des personnages et choisi une orientation stylistique qui vous convient. Vous avez une bonne idée pour votre première phrase. Vous avez même pris la peine de vous entraîner. Bref, ça y est, vous n’avez désormais plus qu’une chose à faire : vous mettre à écrire.
Vous la sentez, la pression, là ?
Eh oui. Pour certains auteurs en herbe, entamer la rédaction d’un roman, c’est intimidant. Il y en a même qui auraient tendance à voir ça comme un premier saut à l’élastique, un de ces moments où on se jette dans le vide sans être sûr que, derrière, il y a bien un truc qui nous retient et nous empêche de nous aplatir par terre comme une petite crotte.
Parce qu’on a beau ressentir de l’inspiration, avoir envie d’écrire, chérir l’acte créatif et se réjouir de coucher sur le papier tous ces mots qui dorment en nous depuis tellement longtemps, lorsque vient le moment de s’y mettre, il n’est pas rare de ressentir une appréhension. Oui, on a envie de nager, mais l’eau sera-t-elle trop fraîche ? Si c’était si facile, tout le monde le ferait. Qui tu serais pour réussir là où tous les autres ont échoué ?
Se confronter à la possibilité très réelle d’être nul
Cette inquiétude est enracinée dans des soucis rationnels. D’abord, aborder l’écriture d’un premier roman, c’est se confronter à la possibilité très réelle d’être nul. Si ça se trouve, on a envie d’être un auteur mais le résultat sera loin d’être à la hauteur de nos attentes. C’est très possible, et hélas, il n’y a qu’en le faisant qu’on peut s’en rendre compte.
Cela dit, il existe des moyens d’atténuer le choc. Ne vous lancez pas immédiatement dans un roman : rédigez quelques nouvelles auparavant, des contes, des petites histoires. Vous aurez ainsi apprivoisé votre écriture et vous saurez si vous êtes fait pour ça ou non. Mieux vaut s’exposer à une déception que vivre sa vie dans l’incertitude.
L’autre raison d’être intimidé par le début d’une aventure littéraire est encore plus compréhensible : lorsque l’on écrit la première phrase d’un roman, forcément, on n’a jamais été aussi éloigné de la fin. Se mettre à écrire, c’est s’astreindre à un travail monumental, qui, lorsqu’il n’en est qu’au début, peut ressembler à un objectif impossible à atteindre. Ça file le tournis.
Rassurez-vous, tous les romans du monde ont été écrits de la même manière : un mot après l’autre. D’autres que vous y sont parvenus, y compris des pas malins et des pas doués, donc il n’y a pas de raison pour que vous échouiez.
Quand vous écrivez le premier jet d’un roman, vous n’êtes pas en train d’écrire le roman
Cela dit, on le voit bien, la principale difficulté lorsque l’on rédige le premier jet d’un roman, c’est la tentation de l’abandon. Pourquoi consacrer tant de temps, verser tant de sueur pour quelque chose qui, vous le pressentez, sera de toute manière raté ? À chaque instant, dans ce travail de mineur, on risque de se décourager, de se laisser distraire, d’entendre le chant des sirènes qui nous murmurent qu’il y a tellement de choses plus divertissantes à faire ailleurs.
Ne les écoutez pas et tenez bon, tenez bon, tenez bon. C’est le seul conseil qu’on puisse donner. Écrire un roman, c’est un effort qui se joue sur la longueur : des heures à la fois, qui se prolongent pendant des jours, des semaines, des mois. Parfois vous resterez assis comme une tanche devant votre clavier et au bout de deux heures, vous n’aurez écrit que huit mots très moches. Pas grave : persévérez, vous ferez mieux la fois d’après, et la fois d’après, les choses deviendront plus faciles, une routine finira par s’installer. L’important, c’est de s’accrocher et surtout de ne pas se retourner sur son chemin, de ne pas jeter un regard critique sur ce que vous êtes en train d’écrire, sans quoi tout va se figer et votre roman va se transformer en statue de sel.
Parce que ce qu’il faut comprendre, et c’est très important de garder ça en tête, c’est que quand vous écrivez le premier jet d’un roman, vous n’êtes pas en train d’écrire le roman. Quand vous aurez terminé, le travail sera loin d’être fini avant que vous puissiez vous considérer comme satisfait. Il ne s’agit que d’une étape, certes importante, mais probablement pas aussi décisive que vous le pensez.
Vous devez commencer par écrire un roman imparfait, bancal, insatisfaisant
Vous ne faites, en réalité, qu’accumuler un gros morceau de terre glaise que vous allez sculpter par la suite pour lui donner sa forme définitive. Si tout n’est pas parfait, ça n’est pas grave ; s’il y a des passages franchement ratés, vous les réécrirez plus tard ; si certains personnages ne fonctionnent pas, vous les changerez. Mais pour que vous puissiez y parvenir, pour que vous soyez capable de produire l’histoire que vous avez en tête, vous devez commencer par écrire un roman imparfait, bancal, insatisfaisant.
En disant ça, soyons clairs, je parle en tant qu’auteur Bricoleur. D’autres vivent des expériences différentes. Si vous êtes un Architecte et que vous avez tout planifié au préalable, l’étape d’écriture sera sans doute moins décourageante, mais elle sera plus ennuyeuse, et votre combat consistera alors à parvenir à arriver jusqu’au bout sans vous endormir, en maintenant intact l’intérêt que vous avez pour cette histoire malgré le fait qu’elle n’avait déjà plus aucun secret pour vous avant d’écrire le premier mot.
Si vous êtes un Explorateur, cette phase sera plus décisive. Votre premier jet va beaucoup plus ressembler à votre roman terminé, puisque vous créez votre narratif en l’écrivant. Cela dit, les Explorateurs sont bien souvent des auteurs qui apprécient l’acte d’écriture en lui-même, donc le plaisir qu’ils éprouvent à coucher des phrases sur le papier doit normalement suffire à maintenir leur intérêt jusqu’au bout.
On parle beaucoup de l’imagination des auteurs, de leur sensibilité, de leur amour des mots. On devrait davantage parler de leur courage, de leur endurance et de leur patience : voilà les qualités qui font qu’un écrivain parvient à sortir du néant une histoire, à force d’efforts et d’obstination, là où auparavant il n’y avait rien du tout.
Je vote pour le dernier paragraphe !
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Merci !
Quand on me demande comment se passent les journées, si j’ai l’inspiration,… je me sens en décalage complet. J’ai l’impression de passer mes journées à malaxer de la pâte à modeler, et d’avoir entamé un marathon. C’est un travail colossal qui demande de la persévérance !
Merci vraiment pour tes articles toujours très intéressants !
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Occasionnellement, le quotidien de l’écrivain est traversé par des fulgurances, des idées qui jaillissent, des instants de révélation. Mais en général, il ressemble plutôt à une course de fond, qui réclame patience, abnégation et ténacité. 🙂
Merci beaucoup pour ce commentaire!
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Comme dans une course, il y a les kilomètres où on est porté.
Cela me fait penser à « Autoportrait de l’auteur en coureur de fond », d’Haruki Murakami
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Très belle comparaison! C’est d’ailleurs le livre de Murakami que j’ai préféré.
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Encore une article fort intéressant ! 🙂
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Merci!
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Merci pour tes articles toujours riches et encourageants ! Je suis particulièrement d’accord avec un point : le grand mythe très XIXe siècle du génie inspiré est loin de cerner le complexe travail de l’écriture : il y a certes l’inspiration, l’amour et l’enthousiasme, mais comme tu le dis justement, le courage et le sens du travail persévérant font le plus gros de la chose. Quant au premier jet, là aussi je te rejoins : il est tout sauf le roman en question. Un embryon pourrait-on dire 🙂
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Je suis suisse, un pays qui admire les travailleurs et qui se méfie des génies. Ça a probablement déteint sur moi. 😅
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Ahah sans doute ! Et je suis moi-même franco-suisse, parce que la double nationalité et les paradis fiscaux c’est bien ! Euh… non, pardon : franco-suisse, et donc sensible aussi à ces idées de travail acharné et de « cent fois sur le métier remettez votre ouvrage »
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Haha! « Paradis fiscaux », j’aimerais bien! Je paye plus d’impôts que n’importe quel contribuable français qui aurait mon revenu. 😉
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Oui, ça m’amuse doucement aussi ces stéréotypes sur tous les suisses et leur argent 😛 Pour revenir dans le giron du sujet de ton article, ce n’est même pas du niveau du premier jet d’une pensée politique ¤
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Un article très important.
J’ai une vision un peu plus radicale, pour moi il vaut mieux accepter que le premier jet sera forcément nul, donc autant ne pas se prendre la tête et s’amuser en l’écrivant.
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Nous sommes tout à fait d’accord, je l’ai dit de manière plus « diplomatique » pour ne pas froisser les sensibilités de ceux qui se trouvent déjà très bons au premier jet! 😉
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« Se mettre à écrire, c’est s’astreindre à un travail monumental, qui, lorsqu’il n’en est qu’au début, peut ressembler à un objectif impossible à atteindre. Ça file le tournis. » Oh la la mais l’histoire de ma vie … Je suis en train d’attaquer l’écriture du deuxième jet et, ah ça, j’ai écrit le premier comme tu le préconises : c’est un gros tas de glaise duquel, avec beaucoup d’effort, je vais réussir à dégager cinq ou six scènes potables sur une quarantaine. Mais c’est sûr, j’avais besoin d’en passer par là. Il faut vraiment prendre sur soi pour ne pas trop regarder la cible, l’immensité du travail qu’il reste à fournir, mais se concentrer sur chaque petit pas qui s’en rapproche.
J’aime vraiment beaucoup ton dernier paragraphe, je m’y retrouve énormément 🙂 (et bim, des tonnes d’adverbes pour fêter ça)
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Bon courage! On finit toujours par en voir le bout…
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Merci pour cet article ! Il ne faut pas non plus oublier qu’on progresse en écrivant, surtout pour un premier roman. Mais cette progression, on ne peut l’obtenir que si l’on a écrit ce fameux premier jet (et le suivant, et le suivant…). Pour s’améliorer, il faut mettre les mains dans le cambouis à un moment ou un autre. Et accepter qu’on ne sera pas instantanément Zola ou Hugo^^.
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On ne sera probablement jamais Zola ou Hugo, mais en n’essayant pas, cette probabilité devient une certitude! 😉
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« Si vous êtes un Explorateur, cette phase sera plus décisive. Votre premier jet va beaucoup plus ressembler à votre roman terminé, puisque vous créez votre narratif en l’écrivant. Cela dit, les Explorateurs sont bien souvent des auteurs qui apprécient l’acte d’écriture en lui-même, donc le plaisir qu’ils éprouvent à coucher des phrases sur le papier doit normalement suffire à maintenir leur intérêt jusqu’au bout. » > Tout à fait ! Je me reconnais énormément là-dedans. Plus j’y pense, plus ta typologie des auteurs me semble pertinente.
Mais en effet, je pense qu’il n’y a pas beaucoup de conseils à donner si ce n’est de ne pas lâcher. Ou alors, il y a la solution de faire comme A. Damasio dans La Horde du Contrevent, numéroter ses pages à l’envers pour avoir l’impression d’avancer haha. Je blague, mais l’article est très intéressant comme toujours !
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C’est vrai, encore que ce conseil de ne pas lâcher, on ne le répète jamais assez, selon moi!
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Bonjour Mr Hirt,
Il y a dans cette intro quelque chose qui laisse à penser qu’on écoute aussi du rap français en suisse…
Me trompè-je?
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Et cambronne!
Infoutu que je suis de lire les étiquettes en bas d’un article, je cause pour ne rien dire…
Nonobstant c’est une excellente référence dans le contexte, je trouve.
Lors d’un premier premier-jet le plus dur étant d’abandonner l’abandon, tu aurais presque pu les citer deux fois…
Milles pardons pour le double-post et ma salle manie d’enfoncer les portes ouvertes…
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Personne ne lit les étiquettes en bas des articles, voyons !
Mes petits billets et mes romans sont jalonnés de ce genre de clins d’œil, on s’en rend compte ou pas, mais je pense que pour les lecteurs qui s’en aperçoivent, ça peut être sympathique. En particulier, je trouve important, en tant qu’auteur de littérature de genre, de citer des textes issus du hip-hop, parce que ce sont des champs qui sont curieusement à l’écart de la Culture jugée convenable. Dans mon dernier roman, les titres de deux chapitres, « Pour un nouveau massacre » et « Tu ne verras pas arriver le coup d’éclat », sont des références explicites au rap, pour cette raison.
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